Les lieux d’oubli

 

Le Tata sénégalais de Chasselay, dans le Rhône -source Wikicommons. Dans cette nécropole militaire, sont enterrés 188 tirailleurs sénégalais massacrés par la division de SS allemande "Totenkopf" en juin 1940. Le cimetière fut inauguré en août 1942, hommage inattendu dans le climat du temps.

Le Tata sénégalais de Chasselay, dans le Rhône -source Wikicommons. Dans cette nécropole militaire, sont enterrés 188 tirailleurs sénégalais massacrés par la division de SS allemande « Totenkopf » en juin 1940. Le cimetière fut inauguré en août 1942, hommage inattendu dans le climat du temps.

« Il faut que le souci du détail, sans doute louable, avec lequel on rédige aujourd’hui l’histoire contemporaine porte naturellement chacun à réfléchir à ceci: comment nos descendants éloignés s’y prendront-ils pour porter le fardeau de l’histoire que nous allons leur laisser après quelques siècles? Sans doute ils apprécieront du seul point de vue de ce qui les intéresse l’histoire des temps les plus anciens, dont il pourrait que les documents aient alors depuis longtemps disparu: ils se demanderont ce que les peuples et les gouvernements ont accompli de bien ou de mal du point de vue cosmopolitique. »

Emmanuel Kant, Idée d’une histoire universelle au point de vue cosmopolitique (1784), traduction de Jean-Michel Muglioni

Suite à l’entreprise dirigée par Pierre Nora, qui a suscité des recherches semblables en Italie, en Allemagne ou au Danemark, montrant par là à quel point elle répondait aux désirs d’une époque, l’expression « Lieux de mémoire »  est devenu un « lieu commun ». De concept historique, elle s’est changée en enjeu idéologique. Pour ouvrir des perspectives nouvelles, dans la crainte que le terme ne serve tout simplement à entretenir la confusion entre Histoire et mémoire (Jacques le Goff) ou à réduire l’Histoire à une vulgate officielle néopositiviste, d’autres historiens ont introduit des concepts comme « non-lieux de mémoire » (Gérard Noiriel), ou « guerres de mémoire » (Benjamin Stora, Pascal Blanchard etc.). Depuis 2009, j’ai décidé de prolonger cette visée dialectique, en me mettant, indépendamment de toute institution, riche de ma seule formation d’historien et d’une curiosité croissante, à la recherche de « Lieux d’oubli ».

Qu’est-ce qu’un « lieu d’oubli »? C’est un fragment de l’histoire d’un pays que les habitants de ce pays ne connaissent pas, ou très mal, dans leur écrasante majorité, et dont ils s’étonnent, lorsqu’on les en informe, de n’en avoir jamais entendu parler. En ce sens, l’existence d’un funiculaire entre la place de la République et l’église Saint Jean-Baptiste de Belleville à Paris, de 1891 à 1924,  n’est pas un lieu d’oubli, mais peut être rangée à bon droit au rang des anecdotes érudites -dont on pourra s’émerveiller à loisir de les retrouver ou de les transmettre. Mais le massacre de plusieurs milliers d’Africains par deux officiers de la République française en 1899 en est un.

Ces lieux d’oubli doivent-ils être changés en lieux de mémoire? Tel n’est pas mon propos. J’entends bien davantage faire sentir que le concept de « mémoire » tel qu’on le véhicule aujourd’hui est assez pathogène.  Comme le dit un personnage du beau roman de Cristina Ali Farah, Madre Piccola: « J’essaie de ne pas me souvenir de certaines choses, tu sais? Si nous devions nous souvenir de toute la tristesse du monde, nous ne pourrions pas survivre. » En effet, qui saurait reprocher à un peuple soucieux de son avenir de ne pas porter la « croix » de tout son passé? Loin de toute « repentance », malgré ce que voudraient nous en faire croire certains « chercheurs » aux nostalgies douteuses, il s’agit avant tout de redonner vie à une vision exploratrice de l’Histoire, traquant l’oubli comme on l’a fait récemment d’approches nouvelles -micro-histoire, histoire des sensibilités, socio-histoire etc.- qui l’ont beaucoup revivifiée.

Les Lieux de l’oubli deviendront un jour un livre. Pour l’instant, ils sont autant de prétextes à rencontres, échanges, synthèses et partages. Les titres qui suivent donnent l’état de recherches que je me fais une joie de vous faire découvrir et qui ne prétendent pas, en l’état actuel des choses, répondre d’une architecture cohérente, qui se bâtit au secret.

Voir aussi la synthèse écrite le 11/11/2013 sur le blog Insomnies de Médiapart.

 

QUELQUES HISTOIRES COLONIALES

Afrique centrale:

Algérie:

Cameroun:
Guadeloupe:
Indochine:
  • Indochine 1931 (1) les exécutions, par Andrée Viollis.
  • Indochine 1931 (2) la torture, par Andrée Viollis.

Madagascar:

À voir aussi.

De Jean-Luc Raharimanana:

Sénégal:

Syrie:

  • Introduction: Quand la France s’inventait en Syrie (1799 – 1946).
  • Première partie: La prise de Jaffa, ou le premier massacre colonial moderne (mars 1799).
  • Deuxième partie: Napoléon III, ou l’Empire humanitaire (1860 -1861).
  • Troisième partie: Le Mandat, ou comment les Français ont bombardé Damas (1925).
  • Quatrième partie: La guerre de Syrie ou la guerre civile exportée (1941).
Anatole France, un anticolonialiste oublié (3 articles repris dans Sur la pierre blanche, 1905) :

DES ESPACES EFFACÉS

CULTURES POLITIQUES

« DE FAIBLES LUEURS DANS LA NUIT »: LE PACIFISME DANS LA PREMIÈRE GUERRE MONDIALE.

À Craonne, le 5 novembre 1998, le premier ministre français Lionel Jospin se prononce officiellement, pour la première fois, en faveur d’une mémoire incluant une part de ceux qu’André Loez a appelé « les refus de guerre »:

« Certains de ces soldats, épuisés par des attaques condamnées à l’avance, glissant dans une boue trempée de sang, plongés dans un désespoir sans fond, refusèrent d’être des sacrifiés. Que ces soldats, « fusillés pour l’exemple », au nom d’une discipline dont la rigueur n’avait d’égale que la dureté des combats, réintègrent aujourd’hui, pleinement, notre mémoire collective nationale. »

L’avancée est timide, mais la réaction du Président Jacques Chirac ne se fait guère attendre: «Au moment où la nation commémore le sacrifice de plus d’un million de soldats français qui ont donné leur vie entre 1914 et 1918 pour défendre la patrie envahie, l’Elysée trouve inopportune toute déclaration publique pouvant être interprétée comme la réhabilitation de mutins»

Le débat a quelque peu évolué depuis, en marge des discours officiels. Pour autant, la voix de ceux qui, très minoritaires, ont refusé l’Union Sacrée et ont maintenu envers et contre tout des positions pacifistes, demeure encore si étouffée qu’on pourrait croire en son absence. Cette anthologie entend signaler quelques noms parmi les plus notables.

Ces phrases écrites par quelques intellectuels sont aussi l’écho, ne l’oublions pas, d’un nombre à jamais inconnu de « rejets silencieux ». Les premières pages par exemple du roman de Gabriel Chevallier, La Peur (1931), sont là pour nous rappeler qu’à l’été 1914, l’enthousiasme n’était sans doute pas aussi partagé qu’on veut souvent le laisser croire. Bien davantage, il est alors le seul sentiment qui peut publiquement s’exprimer.

  • L’assassinat de Jean Jaurès, par Henri Guilbeaux. Un souvenir du climat des jours de l’entrée en guerre, à rapprocher des souvenirs de Gabriel Chevallier.
  • Discours de Bâle (24 novembre 1912), par Jean Jaurès.
  • Discours de Bruxelles (29 juillet 1914), par Jean Jaurès. Tentative de reconstitution par Jean Stengers du dernier discours de Jean Jaurès, deux jours avant sa mort.
  • Aux peuples assassinés, par Romain Rolland. Un des textes publiés dans la revue Demain d’Henri Guilbeaux.
  • Tu vas te battre (poème), par Marcel Martinet. Texte écrit aux premiers jours de la Grande Guerre.
  • Tout n’est peut-être pas perdu suivi de Les morts (poèmes), par René Arcos. Par le futur cofondateur de la revue Europe.
  • Dans la tranchée (poème), par Noël Garnier.
  • Le Noyé (poème), par Lucien Jacques.
  • Éloignement (poème), par Marcel Sauvage.
  • Malédiction (poème), par Henri Guilbeaux. Un texte prophétique sur les bombardements aériens, qui laisse entendre en 1917, qu’en matière de guerre industrielle, le pire est encore à venir.
  • Au grand nombre (poème), par Pierre Jean Jouve. Un poème de jeunesse d’un auteur qui marquera ensuite une rupture totale avec la première partie de son œuvre.
  • Chant d’un fantassin suivi de Élégie à Henri Doucet (poèmes), par Charles Vildrac. Un des piliers de l’expérience de l’Abbaye de Créteil, fervent pacifiste.
  • L’illumination (poème), par Luc Durtain. Un très grand poète oublié, l’ensemble du recueil, consultable en ligne, vaudrait d’être réédité.
  • Requiem pour les morts de l’Europe (poème), par Yvan Goll. Poète franco-allemand -né en fait dans l’Alsace-Lorraine occupée- qui adopte d’emblée une position pacifiste. Inventeur du « surréalisme » dont la paternité lui sera disputé par André Breton qui le juge trop classique, il meurt dans l’oubli. Il peut être considéré comme un des rares poètes expressionnistes écrivant en français.
  • Frans Masereel, par Luc Durtain. Sur le graveur et peintre flamand dont l’œuvre est indissociable de l’engagement pacifiste.
  • Discours de Pierre Brizon le 24 juin 1916. Premier discours de rupture avec l’Union sacrée, trois députés socialistes votant pour la première fois contre les crédits de guerre.
  • L’alerte, récit d’avant-guerre, par René Arcos. Une nouvelle d’une grande force satirique, par le cofondateur de la revue Europe.
  • L’Adieu à la patrie (poème), par Luc Durtain. À mes yeux, peut-être, le plus beau poème qu’on ait pu écrire sur cette guerre.
  • La première victime de la guerre, par Gabriel Chevallier (extrait du roman La Peur). Première victime, ou premier héros?
  • J’ai peur, par Léon Werth (extrait du roman Clavel chez les majors). « Je ne vois pas dans la guerre autre chose qu’une catastrophe ».
  • Le Mal 1914 -1917 (extraits), par René Arcos.
LES BLESSÉS PSYCHIQUES DE LA PREMIÈRE GUERRE MONDIALE.

GRANDE-GUERRE: EN MARGE DES COMMÉMORATIONS.

AUTRES

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