Des ruines (3), par Jean-Luc Raharimanana.

(J’écris) je parle avec des mots nés d’une terre qui étouffe… Même ma langue ne (m’appartient pas) ! Elle dit la honte. Elle dit…

Je ruse, je ruse…
Faut-il ruser pour que vous entendiez cette douleur ?

La réalité m’entre par la bouche et me dépose ses mots. Ce qui entre par la bouche, ce qui entre par la bouche…

Me tue. Ce qui entre par la bouche. Me tue. Ce qui entre par la bouche qui me tord qui me tue. (Ce qui m’entre par la bouche par le corps par les pores par le ventre par tous les pores de mon corps et qui tombe) qui me tue qui tombe qui me tue qui tombe dans la chair de ma chair qui me soulève. Je vomis à me vomir. D’être là chair de la chair. (Eau qui croule. Triture de corps autre brisé broyé enviandé). Me tue. Et je pense. J’ai trop soif. Je pense. J’ai trop soif. Je pense. (Je me tords, je n’ai rien mais je n’ai rien d’autre que mon vomi. Je me triture. Je me tords. Je n’ai rien mais je n’ai rien d’autre que mon vomi. Je me tue. Je me tue. Je me tue. Je me tue. Je me tue. Je me tue).

(Ainsi), corps noir où recommence la douleur, je ne crie pas, mon chant fatigue, mes siècles ne harassent pas, les cordes ou chaines ou balles ou palus ou sida ou famine ou guerre ou massacre ou génocide, ou je ne sais, je ne sais, je ne sais, ne harassent pas, je dis, on ne s’en lasse pas de m’ouvrir le ventre, mais je me tais sur mon chant à mon cou fendu, à ma lèvre entamée, mon corps est superbe encore, je me tais. M’ouvrir la bouche, c’est dégueuler la honte et l’indignité, ma parole est noire, elle fatigue, n’ai-je pas d’autres chants qui balancent ?

Et, je.

Je suis encore debout. Des paroles figées dans la décrépitude magnifique. Cette simple conscience que la vie est encore érigée dans l’instant, qu’importent les poussières qui tombent de mes ruines, vivre est toujours laisser une part de soi à la mort.

C’est de là que (j’écris) je parle…

De mes ruines.

Extrait de Des Ruines, texte de Jean-Luc Raharimanana.

Le Dossier du spectacle de Thierry Bédard.

La version scénique du texte est publiée dans le numéro 17 de l’excellente revue Frictions.

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