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New York, 1911: Étincelles, entretien avec Laura Sicignano, Laura Curino et Juliette Gheerbrant.

« Au théâtre j’ai essayé de donner vie aux fantômes d’hommes, mais surtout de femmes qui ont fait la grande Histoire, avant d’être écrasé(e)s par elle. Comme pour rendre voix et justice aux héros et héroïnes oublié(e)s, en une époque, la mienne, où pour trouver la vraie grande tragédie tu dois regarder d’autres temps et d’autres lieux. Aujourd’hui notre monde est tellement recouvert du vernis des petites névroses, tellement minimaliste et homologué, tellement soumis au marché et désenchanté, qu’il n’est pas théâtral. Je cherche de grands mythes ailleurs. Je les ai trouvés dans la seconde guerre mondiale, chez les « sorcières » du dix-septième siècle, chez les émigrants italiens en route pour « Lamerica », chez Jeanne d’Arc et Gilles de Rais, chez les réfugiés politiques venus d’autres continents. Et dans l’incendie de l’usine TWC, auquel j’ai consacré Étincelles, un de mes textes et de mes mises en scène les plus récents. »

Laura Sicignano

New York, 1911: incendie dans une usine textile, par Olivier Favier.

« 25 mars 1911. L’usine textile Triangle Shirtwaist Company, à Manhattan, est ravagé par un incendie. 146 personnes trouvent la mort en 18 minutes, de jeunes ouvrières pour l’essentiel. Aux États-Unis comme en Italie, dont sont originaires une partie des employés, l’événement est souvent associé aujourd’hui aux commémorations de la Journée internationale des femmes, le 8 mars. »

Olivier Favier

Histoire d’une goutte d’eau, par Ascanio Celestini.

« Un homme est assis dans la pièce. Il regarde le robinet qui fuit. L’homme pense : c’est juste une goutte d’eau. »

Ascanio Celestini

Olivetti (extraits), par Laura Curino.

“L’été, pour moi, c’était les colonies de vacances Fiat, autrement dit la prison. Durant les longues heures en cellule, ou celles passées au grand air, des légendes circulaient parmi nous, les enfants. L’une d’elles disait que le Paradis existait, là tout près. Une colonie où les enfants étaient bien habillés, avaient une “demoiselle” pour six ou sept, au lieu d’une pour trente, une demoiselle qui ne pleurait pas toute la journée, qui était même contente d’être là. Les enfants y mangeaient bien, assis autour de petites tables, ils pouvaient se baigner sans coups de sifflet, écrire des lettres qui ne seraient pas lues avant d’être envoyées, ils pouvaient… lire! On ne pouvait pas lire à la colonie Fiat. On ne pouvait pas non plus écrire et quinconque tenait un journal devait le faire en cachette et trouver à tout prix un endroit où le cacher, vu que nous n’avions pas les clés de nos casiers, le nécessaire de toilette y rentrait déjà difficilement du reste. Là, au Paradis, on disait que les enfants avaient une petite armoire. Avec la clé. Ce paradis, c’était la colonie Olivetti. »

Laura Curino

Epouvantail 18, par Oliverio Girondo.

« Pleurer à flots.
Pleurer la digestion.
Pleurer le sommeil.
Pleurer devant les portes et devant les ports.
Pleurer le sentiment et le sensationnel. »

Oliverio Girondo

Épouvantail 1, par Oliverio Girondo.

« Je me fiche éperdûment que les femmes
aient des seins comme des magnolias ou comme des figues sèches,
une peau de pêche ou de papier de verre.
Je n’attache aucune importance
au fait qu’elles se réveillent avec une haleine aphrodisiaque
ou avec une haleine insecticide.
Je suis parfaitement capable de supporter
qu’elles aient un nez digne de remporter le premier prix
d’une exposition de carottes;
-mais il y a une chose- et sur ce point je suis intraitable- je ne leur pardonne,
sous aucun prétexte, de ne pas savoir voler. »

Oliverio Girondo

Méditations dans l’antichambre, par Guadalupe Grande.

« C’est ce qu’elle regarde aujourd’hui dans le fleuve Mersey. À la fin, tout ce qui n’existe pas forme une carte de l’autre rive.

C’est pourquoi aujourd’hui Liverpool n’existe pas, de l’autre côté de l’eau. De l’autre côté de la vitre. »

Guadalupe Grande

La fuite, par Guadalupe Grande.

« J’ai fui, c’est vrai. Et puis après…
Fuir est un naufrage,
une mer sur laquelle tu cherches ton visage, inutilement,
au point de te changer en naufragé de sel,
cristal sur lequel brille la nostalgie. »

Guadalupe Grande

Et les chattes mettent bas, par Guadalupe Grande.

« Tu écoutes le chat Puis tu as vu un homme torse nu et sans bras au bord de la rue tu as frôlé la jambe perdue dans le pantalon replié sur la cuisse et tu as vu que la mort est un bouquet de roses en plastique attaché à un réverbère

et tu t’es demandée quel mot n’est pas une onomatopée indéchiffrable pour suivre l’obscurité »

Guadalupe Grande

Guadalupe Grande, par Carlo Bordini.

« Lire les poèmes de Guadalupe Grande c’est comme regarder la vitrine d’un grand orfèvre, car il y a en effet quelque chose du joyau dans ces poèmes, tout est net, tragiquement et dramatiquement net, tout est en parfait équilibre. »

Carlo Bordini