Méditations dans l’antichambre, par Guadalupe Grande.

 
Liverpool n’existe pas.

Elle le sait, la femme qui s’assied derrière les vitres de l’aéroport pour regarder couler le fleuve Mersey,

un fleuve pareil à la miséricorde mais que les saumons ne remonteront pas, ils n’arriveront pas au ruisseau, ils ne traverseront pas le tunnel de l’ours, ils ne fraieront pas sur l’obéissance aveugle des boussoles.

Parce que Liverpool n’existe pas, la coquille de noix sur laquelle navigue sa dent de lait flotte sur le fleuve Mersey.

Flotte La matriochka, enceinte d’elle-même, elle flotte encore et encore jusqu’à sa dernière poupée, récit minimal de l’enfance, récit infini de la sublimation.

Flotte l’aile de l’albatros et survole la mouette et la cire d’Icare est maintenant rouille dans le limon.

De l’autre côté du canal, sur le fleuve Mersey, flotte le scarabée de la vie entre les dents du chat de Cheshire, c’est-à-dire, une feuille sur son ombre, une allumette dans le creux de la flamme, une plume dans la coquille, et sa vie sur un papier sans bouteille.

Peu importe désormais que Liverpool n’existe pas.

Qui a donné une assiette de lait au chat, qui a su voir l’arbre dans l’ombre de la feuille et a su ne pas l’enflammer, et qui recueillera l’encre avec la plume du merle qui un jour a traversé un jardin, qui pour écrire où, pour écrire quoi.

Et flotte le souvenir africain, splendeur de la pierre aujourd’hui devenue ruine, peau nue en transit qui se change ici en lumineux vertige de vêtements.

Mais c’est ce qu’elle lit aujourd’hui dans le fleuve Mersey, et elle se demande qui a eu pitié des chevilles, qui des pupilles des gnous dans lesquelles vivaient les gazelles, les fleuves qui débordent de leur lit. Celui qui a mis un manteau et a traversé la ville qui n’existe pas.

C’est ce qu’elle regarde aujourd’hui dans le fleuve Mersey. À la fin, tout ce qui n’existe pas forme une carte de l’autre rive.

C’est pourquoi aujourd’hui Liverpool n’existe pas, de l’autre côté de l’eau. De l’autre côté de la vitre.

 

Ce poème est paru dans l’anthologie Métier de chrysalide, Évian, éditions Alidades, 2010, traduite par Dorothée Suarez et Juliette Gheerbrant. Postface de Carlo Bordini.

Liverpool,1952.

Liverpool,1952.

MEDITACIONES EN LA ANTESALA

Liverpool no existe.

Eso sabe la mujer que se sienta tras los cristales del aeropuerto a ver pasar el río Mersey,

un río que se parece a la misericordia pero por el que no subirán los salmones: no llegarán al arrollo, no atravesarán el túnel del oso, no desovarán sobre la obcecada obediencia de las brújulas.

Porque Liverpool no existe en el río Mersey flota la cáscara de nuez en la que navega su diente de leche.

Flota la matrusca, embarazada de si misma, flota una y otra vez, hasta su última muñeca, mínimo relato de la infancia, infinito relato de la sublimación.

Flota el ala del albatros y sobrevuela la gaviota y la cera de Ícaro es ahora herrumbre en el limo.

Al otro lado del canal, en el río Mersey, flota el escarabajo de la vida en los dientes del gato de Chesire, es decir, una hoja sobre su sombra, una cerilla en el hueco de la llama, una pluma en el cascaron, y su vida en un papel sin botella.

Poco importa ya que Liverpool no exista.

Quién le puso un plato del leche al gato, quién supo ver el árbol en la sombra de la hoja y no prenderle fuego, y quién recogerá la tinta con la pluma del mirlo que alguna vez atravesó un jardín, quién para escribir dónde, para escribir qué.

Y flota el souvenir africano, esplendor de la piedra que hoy es ruina, piel desnuda en tránsito que aquí se convierte en luminoso vértigo del ropaje.

Pero eso lee ella hoy en el río Mersey, y se pregunta quién tuvo misericordia de los tobillos, quién de las pupilas de los ñus en las habitaban las gacelas, los ríos que desbordan su cauce. Quien se puso en abrigo y atravesó la ciudad que no existe.

Eso mira hoy en el río Mersey. Al fin, todo lo que no existe es un mapa de la otra orilla.

Por eso, hoy, Liverpool no existe, al otro lado del agua. Al otro lado del cristal.

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