New York, 1911: incendie dans une usine textile, par Olivier Favier.

 
24 avril 2013. Un immeuble s’effondre à 30 km de Dacca (capitale du Bangladesh). Le Rana Plaza abrite cinq ateliers de confection. Les recherches sont arrêtées le 14 mai et le bilan de la catastrophe s’élève à 1127 morts, plus une centaine de disparus. Parmi les 2500 survivants (une dernière jeune fille a été dégagée des décombres le 10 mai), un millier présente des blessures graves, dont de nombreuses amputations.

25 mars 1911. L’usine textile Triangle Shirtwaist Company, à Manhattan, est ravagé par un incendie. 146 personnes trouvent la mort en 18 minutes, de jeunes ouvrières pour l’essentiel. Aux États-Unis comme en Italie, dont sont originaires une partie des employés, l’événement est souvent associé aujourd’hui aux commémorations de la Journée internationale des femmes, le 8 mars. Lors des cérémonies du centenaire, la Remember the Triangle Fire Coalition a annoncé la création d’un mémorial ayant entre autres objectifs la valorisation du travail féminin.

Créé le 14 juillet 2012 au festival de Borgio Verezzi (Ligurie), Scintille [Étincelles], un spectacle écrit et mis en scène par Laura Sicignano et interprété par Laura Curino, a entrepris de raconter cette histoire, dont les événements récents disent malheureusement la tragique actualité.

Le texte a été traduit en français par Juliette Gheerbrant, par ailleurs journaliste à RFI (service Asie). 

(Histoire de l’incendie de la Triangle Waitshirt Company)

Nous sommes le samedi 25 mars 1911, à l’angle nord-ouest du croisement entre Washington place et Green Street. À une centaine de mètres à l’ouest, se dresse la statue de Garibaldi, dans Washington Square Park, à quelques kilomètres au sud le débarcadère d’Ellis Island. La Triangle Shirtwaist Company est une l’une des 450 usines textiles de Manhattan, qui emploient toutes ensemble quelques 40 000 personnes, une main d’œuvre souvent d’origine étrangère. Cette fabrique produit des waist shirts, des chemisiers-blouses modernes et pratiques à destination des travailleuses, très en vogue dans les premières années du vingtième siècle. Il est 16h40 et l’usine va bientôt  fermer pour le repos hebdomadaire de ses 600 employés. Hommes et femmes travaillent 9 heures par jour du lundi au vendredi,  7 heures le samedi, pour un salaire hebdomadaire de 7 à 12 $ [en 1914, le salaire journalier d’un ouvrier de chez Ford est porté à 5$, soit le double de la moyenne aux États-Unis]. De très jeunes filles pour l’essentiel, dont beaucoup en provenance d’Italie et d’Europe centrale -des juifs ayant fui pogroms et persécutions. La plupart parlent un anglais approximatif, et leur emploi dans cette fabrique représente souvent un soutien essentiel pour leur famille.

16 modèles de Shirtwaist blouse présentés en 1906 dans le magazine "The modern Priscilla".

16 modèles de chemisiers présentés en 1906 dans le magazine « The modern Priscilla ».

Un feu se déclenche au huitième étage, selon la thèse officielle dans une corbeille destinée aux chutes de tissus sous les tables de coupe. Cinq minutes plus tard, un passant voyant de la fumée s’échapper des fenêtres de l’immeuble donne l’alerte. L’expertise conclura à une cigarette ou à une allumette mal éteinte. Un article de New York Times évoquera la possibilité d’une défaillance des machines destinées à faire tourner les machines à coudre. Ou peut-être une étincelle venue de l’une des lampes à gaz éclairant l’atelier. D’autres s’étonneront de cette épidémie d’incendies dans les usines du même type. Personne n’évoquera un incendie criminel.

La Triangle Shirtwaist Company.

La Triangle Shirtwaist Company.

En quelques minutes, l’incendie s’étend aux chemisiers pendus au-dessus des machines, aux chutes de tissus et aux bobines de fil. Les ouvrières du dixième étage sont aussitôt prévenues par téléphone, celles du neuvième en revanche n’apprennent la nouvelle qu’au moment où l’incendie les a déjà rejointes. Par ailleurs, certaines issues ont été bloquées pour éviter les vols et les pauses non autorisées -raison pour laquelle les ouvrières fumaient en cachette à leur poste, exhalant la fumée sous leur blouse, pour ne pas attirer l’attention.

129 femmes et 16 hommes meurent dans l’incendie, certains asphyxiés ou brûlés vifs, d’autres en se jetant de l’immeuble ou des ascenseurs ou encore dans l’écroulement d’un escalier de secours. Des dizaines de corps jonchent le trottoir entourant l’usine.

Les corps des ouvrières précipitées depuis les étages supérieurs de l'usine.

Les corps des ouvrières précipitées depuis les étages supérieurs de l’usine.

Les deux propriétaires survivent à l’incendie -ils sont parmi les premiers à s’enfuir par les toits. Ils sont aussitôt poursuivis pour homicide puis acquittés car personne ne peut prouver qu’ils ont eu connaissance du blocage des issues. Tout au plus sont-ils contraints à payer 75 $ par plaignant deux ans plus tard, non sans avoir touché des assurances une somme plus de cinq fois supérieure aux indemnités reversées.

Cette catastrophe demeure la plus meurtrière des accidents d’usine de toute l’histoire de New York -la troisième, toute catégorie confondue, y compris le 11 septembre 2001. Elle est à l’origine d’une soixantaine de mesures nouvelles votées entre 1911 et 1913 concernant tant la durée du travail des femmes et enfants, que les règles de sécurité ou les normes sanitaires. Elle a entraîné la création en octobre 1911 d’une American Society of Safety Engineers et inspiré outre-Atlantique le cinéma, la littérature, le théâtre et la chanson. Elle est presque inconnue des Français.

Une manifestation à la suite de l'incendie.

Une manifestation à la suite de l’incendie.

Rasputina-My Little Shirtwaist Fire (1996)

Pour aller plus loin:

Une d'un journal de l'époque. Le bilan définitif sera ensuite légèrement revu à la baisse.

Une d’un journal de l’époque. Le bilan définitif sera ensuite légèrement revu à la baisse.

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