Mot-clé : Années de plomb

Viva l’Italia, la mort de Fausto et Iaio, entretien avec Roberto Scarpetti.

 
« Il me semble que leur mort, inutile et impunie, représente toutes les morts violentes des années 70, un peu comme si Fausto et Iaio étaient des sortes de soldats inconnus des années de plomb. »

Roberto Scarpetti

Mai 78, un maggio italiano (texte intégral), par Olivier Favier.

« Les morts d’Aldo Moro, de Peppino Impastato, de Roberto Rigobello, et de ceux dont avant ou après on a perdu ou gardé la mémoire, appartiennent au passé désormais.

Quoi qu’il arrive, à moins de ne pas voir ce qui se passe aujourd’hui autour de nous, nous cheminons plus vite que ces fantômes aux fronts troués.

Et puis, à s’en tenir aux morts, c’est comme si l’essentiel de ce maggio italiano restait encore à dire.

Deux dates en fait, souvent absentes des chronologies, ou présentées comme secondaires, parce que liées à des problèmes de société -comme si, au fond, la société ne devait pas être la fin de toute politique.

Les 13 et 22 mai 1978.

Deux lois, la 180 et la 194, toujours en vigueur aujourd’hui.

Plus de trente ans plus tard, la première, qui a mis fin à l’institution psychiatrique, demeure unique au monde.

La seconde a permis l’avortement. »

Olivier Favier

Du terrorisme, par Guy Debord.

« La modernisation de la répression a fini par mettre au point, d’abord dans l’expérience-pilote de l’Italie sous le nom de « repentis », des accusateurs professionnels assermentés ; ce qu’à leur première apparition au XVIIe siècle, lors des troubles de la Fronde, on avait appelé des «témoins à brevet». Ce progrès spectaculaire de la Justice a peuplé les prisons italiennes de plusieurs milliers de condamnés qui expient une guerre civile qui n’a pas eu lieu, une sorte de vaste insurrection armée qui par hasard n’a jamais vu venir son heure, un putschisme tissé de l’étoffe dont sont faits les rêves. »

Guy-Ernest Debord

Corps d’état, l’affaire Moro (extrait), par Marco Baliani.

« Vingt-cinq ans ont passé depuis ce 9 mai 1978.
D’Aldo Moro chacun de nous a fixé dans sa mémoire l’image d’un corps renversé entrevu par le coffre ouvert d’une voiture, une Renault de couleur rouge.
De Peppino Impastato, de cet homme de ma génération, ce camarade, de celui qui était allé mener sa bataille en Sicile, parmi les siens, luttant contre la mafia, de lui qui fut tué le même jour qu’Aldo Moro, aucune image n’est restée pour notre mémoire. Après vingt ans, par la confession d’un repenti de la mafia nous avons su enfin ce que nous imaginions tous depuis longtemps, que ce sont ceux du clan Badalamenti qui ont tué Peppino Impastato, ceux-là même qu’il dénonçait tous les jours au micro de Radio Aut, dans une campagne quotidienne d’information. »

Marco Baliani

Le juge, l’historien, le politique, par Philippe Audegean.

« Il existe néanmoins une vérité sur ce qui s’est passé au cours de cette nuit-là, et sur l’enchaînement des événements ayant conduit à la chute et à la mort de Pinelli. Cette vérité est la vérité judiciaire : la vérité du juge. Dans le domaine du droit, la vérité d’un fait est la vérité de la chose jugée, autrement dit le contenu de la décision judiciaire, de la sentence définitive ou de l’arrêt. Ce qui a été jugé est en effet revêtu d’une autorité qui lui confère la force de la vérité par présomption de la loi. Que dit cette vérité ? Suite à une plainte déposée par la veuve de Pinelli, le parquet de Milan a saisi un juge d’instruction qui, au terme d’une longue enquête qui s’est achevée en 1975, a prononcé une ordonnance de non-lieu. Selon cette ordonnance, Pinelli a été victime d’un « malaise actif » (en italien, malore attivo). Non pas un malaise « passif », qui l’aurait amené à se laisser aller, à tomber dans les pommes, mais un malaise « actif », et même « super-actif », ironise Sofri dans Les Ailes de plomb, puisqu’il l’a amené à se jeter activement par la fenêtre.

Philippe Audegean

La Zone grise, par Carlo Bordini.

« Il y eut entre nous une discussion amicale et un peu absurde, tandis qu’à quelques pas de nous les affrontements faisaient rage. Nous devions nous écarter de temps en temps pour éviter d’être frappés par de grosses pierres. Je me souviens qu’à la fin de la discussion, avant de nous quitter, je lui demandai: -Quelle est la chose qui t’intéresse le plus? Il me répondit: -La liberté. -Et toi? me demanda-t-il. Je répondis: -La douceur. »

Carlo Bordini, 2006.

Quand la mémoire joue des tours, par Massimo Barone.

« Je me le suis demandé bien souvent : ne pourrait-on pas écrire une histoire de l’Italie à travers celle de ses tentatives de coups d’État ? Ceux qui ont réussi, ceux qui ont presque réussi et ceux qui ont avorté ? Rien que pour l’après-guerre on peut en compter quatre, à partir de celui de De Lorenzo. Ou disons plutôt que quatre ont été portés à notre connaissance. »

Massimo Barone, 2006.

Un courage à moitié, par Carlo Bordini.

« On a pu dire qu’à sa mort les intellectuels qui ont évoqué sa mémoire dans les journaux et les revues ont créé un véritable psychodrame. C’est vrai. Je suis convaincu que si Pasolini était mort dans son lit, ou dans un accident de voiture, il y aurait eu des commentaires mesurés, de circonstance. Hagiographiques peut-être, mais prudents. Je veux dire par là que le psychodrame a été en grande partie déterminé par la manière dont il est mort. Une chose m’a frappé: la majeure partie des articles consacrés à Pasolini étaient très chargés d’agressivité -les rares exceptions étaient l’œuvre de ceux qui étaient le plus proche de lui-. On se souvenait du Pasolini en polémiquant avec les autres intellectuels, en les insultant. Les autres n’avaient pas compris Pasolini. Ils l’exaltaient seulement maintenant qu’il était mort. Chaque article sur Pasolini s’en prenait à quelqu’un d’autre que lui. »

Carlo Bordini, 1976.