C’est moi qui vous ai choisi, par Ascanio Celestini.

 
Ce n’est pas vous qui m’avez choisi, c’est moi qui vous ai choisi
C’est moi qui vous ai choisi.

Oui je sais qu’avant, la politique fonctionnait autrement. Avant il y avait les politiciens fascistes qui disaient des trucs de fascistes et il y avait les politiciens communistes qui disaient des trucs de communistes. Ils étaient différents hein, vraiment différents les uns des autres.
Puis il y avait les électeurs fascistes qui votaient pour les politiciens fascistes et les électeurs communistes qui votaient pour les politiciens communistes. En ce temps là il y avait des majorités, ça oui, sauf que c’était toujours des toutes petites majorités, toujours 52, 53 pour cent.

Moi je vous dis que la vraie majorité c’est pas 52, 53 pour cent. La vraie majorité c’est 100 pour cent.
C’est pour ça qu’on ne peut pas se fier aux électeurs, c’est nous qui devons vous choisir et pas vous qui devez nous choisir.
Moi quand j’ai commencé, ce que je voulais c’est une majorité All Inclusive, quelque chose de tout fait, qui existe déjà dans le pays naturellement.

Alors je me suis dit, voyons voir : La majorité des citoyens mettent les doigts dans le nez ? Et bien on fait le parti des doigts dans le nez et comme ça on a la majorité.

La majorité des citoyens ont une mauvaise haleine ? Alors on fait le parti de la mauvaise haleine

Et puis j’ai pensé aux préservatifs.
Et j’ai commencé à compter combien de préservatifs on consommait dans le pays pour savoir si j’allais trouver une majorité. Il suffisait de compter dans les petites rues sombres le nombre de ballons dégonflés qu’on peut trouver.

Je vous ai comptés, fornicateurs plastifiés ! Vous étiez une majorité grandiose.

Mais là j’ai compris que le préservatif, c’est une contradiction politique. Parce que si tu prends tous les adultes qui font l’amour et que tu fais un groupe qu’on appellera « Les Taureaux ». Voilà.
Si de ces Taureaux, tu retires les catholiques, hein, qui ne sont pas censés utiliser le préservatif, tu verras qu’il te reste une minorité minuscule, mais vraiment minuscule ! Pour remplir les ruelles les Taureaux mécréants devraient baiser quarante fois par jour et utiliser à chaque fois au moins trois préservatifs enfilés l’un sur l’autre ! C’est pas possible ! Non, c’est évident que dans le tas il y a bien quelques catholiques qui l’utilisent quand même mais de manière clandestine hein ! Aha ! Tu te mets la capuche et tu crois que je te reconnais pas hein ! Baiseur masqué va ! Bon mais c’est sûr que les catholiques, ils n’auraient pas voté pour moi.

Et puis j’ai pensé par exemple à la majorité des boissons gazeuses Parce que la majorité des citoyens boivent ces boissons gazeuses de caca-cola et nazi-cola, non ? Mais alors on disait qu’il y aurait ce problème des rots et de l’élégance.

Ah ça, heureusement que tout ça c’est du passé. Aujourd’hui tous les rôteurs sont dans le parti, on est entre nous, on rote, on pète, on touche les jeunes-filles par ci par là, on n’en fait pas tout un fromage. Mais c’est vrai qu’avant, à l’époque, qu’il y avait encore une certaine classe, une certaine élégance. Vous comprenez ?

Et puis à un certain moment que j’étais en train de chercher une majorité, tink, comme par magie, il y a un poste qui s’est libéré à droite. Parce qu’on ne sait pas pourquoi mais tout d’un coup un groupe de politiciens s’est retrouvé en prison et devait fermer boutique. Alors moi je suis arrivé à droite ai j’ai racheté toute la boutique aux enchères. Mais il faut pas s’imaginer des trucs hein, moi j’ai été à droite parce que ça se libérait à droite. Si ça s’était libéré à gauche, j’aurais été à gauche hein. Moi je crois comme le vieux pompiste, celui qui s’est fait tuer là hein, qui disait que les partis politiques c’est comme les taxis : Tu les paies et tu te ballades un petit peu puis tu changes. Voilà, moi je pense exactement comme ça. Quand je fais de la politique, j’en fais pas une affaire politique, c’est tout. Alors ça s’est libéré à droite et j’ai été à droite.

Mais alors quand je me suis retrouvé là, qu’est ce que j’allais faire ? Hein ? Encore cette histoire de parti à 52, 53 pour cent ? Non ! Parce qu’une vraie majorité ça ne peut être que cent pour cent.

Alors j’ai repensé à cette vieille histoire du loup, de la chèvre et du chou. Eh bien donc, il y a un paysan. Et ce paysan, il a une barque. Oui, c’est bizarre qu’un paysan ait une barque et pas un tracteur et un motoculteur mais bon, celui-là il a une barque, voilà.

Et lui avec sa barque il doit faire traverser la rivière à un loup, d’ailleurs c’est bizarre qu’il ait ce loup avec lui… mais bon : un loup, une chèvre et un chou. Il fait comment ? Parce qu’il doit les faire traverser un par un. Bon, en premier on sait bien qu’il va faire traverser la chèvre parce que comme ça le loup reste avec le chou et il ne mange pas le chou. Puis il revient en arrière, il prend le chou, amène de l’autre côté avec la chèvre. Mais il ne peut pas laisser le chou avec là chèvre parce que sinon la chèvre se le mange. Et donc il reprend la chèvre et il la ramène du côté du loup. Mais il ne peut pas laisser la chèvre avec le loup parce que sinon le loup se la mange. Et donc il prend le loup et il l’amène du côté du chou et pour finir il prend la chèvre et il la fait traverser. Et bien ça, c’est la vieille manière de faire de la politique. C’est à dire de ménager la chèvre et le chou, de mettre tout le monde d’accord et de faire des alliances. Moi je vous dis que dans toute cette histoire, si vous demandez au loup, peut-être qu’il vous dira qu’il ne mange pas la chèvre mais à chaque fois qu’il la voit il en a l’eau à la bouche. Et demandez aussi à la chèvre. Peut-être qu’elle ne mange pas le chou parce que juste à côté il y a le paysan qui monte la garde mais à chaque fois qu’elle pense au chou elle a envie de lui sauter dessus et de n’en faire qu’une bouchée du chou. Et bien moi je vous dis que si par exemple ce paysan se présentait aux prochaines élections, il aurait peut-être la voix du loup mais pas celle de la chèvre. Et si il ramasse la voix de la chèvre, à coup sûr, il n’aura pas celle du chou.

Moi je vous dis qu’il y a une autre technique politique. Faisons traverser par exemple la chèvre, hein, voilà. Et puis allons chercher le chou et mettons-le du côté de la chèvre. On se retourne et on fait semblant de rien. La chèvre mange le chou. On a perdu un chou MAIS on gagné la voix de la chèvre.

Puis prenons le loup et mettons le du côté de la chèvre On se retourne et on fait semblant de rien Le loup mange la chèvre On a perdu une chèvre MAIS on a gagné la voix du loup

Et maintenant ce loup, c’est la majorité à cent pour cent. Le loup est le plus fort. D’ailleurs on dit toujours ménager la chèvre et le chou. On ne dit jamais ménager la chèvre, le chou et le loup, non on ne dit jamais ça. Parce que le loup il se sauvera tout seul, le loup c’est le plus fort.

Et c’est pour ça que je vous dis que c’est moi qui vous ai choisi, c’est pas vous qui m’avez choisi. C’est moi qui vous ai choisi. Et je vous ai choisi parce que vous êtes les plus forts, parce que vous êtes le loup, parce que vous êtes des charognes, parce que je sais que si vous voyez une chèvre vous lui sautez dessus et moi je me retourne et je fais semblant de rien. Si le chou avait été le plus fort moi j’aurais fait le parti du chou. Si ça avait été la chèvre, alors j’aurais choisi la chèvre. Mais c’est vous les plus forts, vous êtes le loup !

Alors pour le moment, pour le moment, il y a encore une espèce de démocratie. Il y a une opposition, une minorité, il y a une chèvre et un chou. Ils sont de l’autre côté, alors on tourne le dos encore pendant un petit temps mais quand la chèvre aura mangé le chou, à ce moment là, nous, on se retournera et on sautera sur la chèvre pour la dévorer et alors là, on sera une vraie majorité, une majorité à cent pour cent. Ce jour là on sera enfin devenus tous égaux. Non, mieux qu’égaux, on sera tous identiques. Et ce jour là je vous jure que vous sortirez du lit. Vous vous regarderez dans le miroir. Et dans le miroir vous verrez Moi.

Traduit par Hervé Guerrisi.

 

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