Cœur sombre (extrait), par Francesco Niccolini.

 

John-Baptist Onama, aujourd’hui professeur à l’université de Padoue, est un ancien enfant-soldat. Son parcours a inspiré à Francesco Niccolini, dramaturge et metteur en scène, un texte théâtral pour les adolescents. Plusieurs voix se croisent dans une narration unique, récit à la troisième personne, très courts fragments du témoignage original, dialogues, monologue intérieur, données chiffrées rapportées par la voix hors-champ. Tout commence par la recherche d’une bouteille d’eau, vendue deux fois plus cher qu’un fusil d’assaut à un jeune garçon à peine arrivé en ville. Il est ensuite enlevé et enrôlé de force dans une bande d’enfants-soldats. Il apprend à couper des mains d’autres enfants, à tuer ceux qui se refusent à tuer. Son amitié avec Marabout, un aîné qui se drogue continuellement pour vivre et donner la mort sans état d’âme apparent, va l’aider à tenir. Au bout de son enfer, il sera seul à survivre.

 

Voix hors-champ
Les meurtres sont accomplis par des enfants soldats en public.
Après leur premier crime, leur obéissance sera totale.
Le fonctionnement de la majeure partie des armes est aujourd’hui très simple elles peuvent être démontées, remontées et utilisées par un enfant de moins de dix ans. armes légères fabriquées en occident et payées avec leurs diamants, leur pétrole, leur terre et leur vie.

 
Il fait nuit sous des milliards d’étoiles.
Lazare étendu près de Marabout. Marabout en silence. Il ne dort pas.
Lazare ne dort pas lui non plus.
Il pense au cœur.
Il pense que son esprit le poursuivra de toutes façons.
Il a peur de fermer les yeux et de tout revoir.
«Tu dors, Marabout ?»
«Non.»
«Étrange: tu dors toujours.»
«Je pense à la maison.»
« Tu n’as pas de maison.»
«J’en avais une de maison… une famille.»
«Je n’avais jamais entendu Marabout dire plus de quatre, cinq mots dans une journée, mais cette nuit-là il parla pendant des heures. Pas de shit, pas de drogue. »
«Je voulais devenir chirurgien, comme mon père. Puis tout s’est arrêté: une nuit le massacre a commencé.
Le pays était gouverné par une tribu.
Mon père aussi faisait partie de cette tribu.
Ma mère non: ma mère fait partie d’une autre tribu.
Mais cette nuit-là les soldats du gouvernement décident d’éliminer tous ceux de l’autre tribu.
Un par un.
Le lendemain matin ils arrivent aussi dans notre maison.
Mon père empoigne un fusil, ma mère, cachée, prie et pleure.
Moi je reste avec mes sœurs.
Ma petite sœur n’aurait jamais voulu trahir ma mère, mais voilà qu’elle regarde, un instant, rien qu’un instant, vers l’armoire.
Ils ouvrent, ils la trouvent, lui donnent des coups de machette.
Ils prennent ma petite sœur et ils la tuent à coups de crosse.
Ils prennent mon autre sœur, la plus grande, et ils la violent toute la journée.
Ils prennent papa et lui coupent les bras: “Comme ça, ça t’apprendra à empoigner un fusil contre tes frères.”
Je me suis enfui… je me suis enfui pendant un an. Puis je suis arrivé ici. Et je n’ai plus peur de rien. Je dois seulement faire attention à ce que je m’envoie dans les veines, parce qu’il est trop tôt pour mourir.»

Traduit de l’italien par Olivier Favier (avec le soutien de la Région Rhône-Alpes, dans le cadre du programme Vice Versa, compagnie Anteprima).

La couverture de l’édition italienne.

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