Madagascar: récit d’une colonisation (1), par Olivier Favier.

 

Première partie: De la Compagnie d’Orient au Protectorat fantôme : Madagascar et la France avant la colonisation (1643-1885).

 

Le premier Européen à apercevoir Madagascar n’est pas un Français, mais le Portugais Diogo Dias, frère du plus célèbre Barlolomeu. Nous sommes en août 1500, le jour de la Saint Laurent, et le navigateur baptise cette île l’Ilha de Sâo Lourenço. Six ans plus tard, un autre équipage portugais se ravitaille sur les côtes malgaches. Il répond par des coups de canon à une volée de flèches.

Avant eux, en 1487, Vasco de Gama passe le Cap de Bonne Espérance. Il atteint l’Inde sans longer les côtes de la Grande Île, à quelques 400 km du continent africain. Jusqu’à cette époque, réalité et légende se mêlent, ce dont le nom actuel de Madagascar a conservé la trace. Sous ce nom, Marco Polo décrit en fait les environs de Mogadiscio, qu’il croit être une île. Il la peuple ainsi de la faune des plateaux éthiopiens, y ajoutant quantité d’éléphants. Martin Behaim, qui réalise en 1492 le premier globe terrestre, place cette île imaginaire aux larges des côtes de l’Afrique, après avoir lu Le Devisement du monde. Suite à la découverte de la vraie Madagascar, les deux îles cohabitent un temps sur les cartes. En 1531, le cartographe français Oronce Fine ne les confonde l’une et l’autre, donnant à l’île réelle le nom de l’île imaginaire.

Entrons dans cette Madagascar rêvée avec Marco Polo:

« Madagascar est une île à bien mille milles au sud de Scaira. Ses habitants sont musulmans et adorent Mahomet. La cité est gouvernée par quatre vieillards. C’est une des îles les plus belles et les plus grandes qui soient au monde. Elle s’étend sur au moins trois mille milles de périmètre. Ses habitants vivent de commerce et d’artisanat. Il y a là plus d’éléphants que nulle part ailleurs. (…) Les habitants de cette île ne se nourrissent que de viande de chameau. Ils en abattent tant chaque jour que c’est difficile à croire pour qui ne l’a pas vu. Ils prétendent que c’est la meilleure viande du monde, et la plus saine qui soit. C’est la raison pour laquelle tous les habitants en mangent et ne mangent que ça. Il y pousse quantité d’arbres de santal vermeil, de bonne qualité. Ils en ont tant que tous leurs bois sont de santal. Ils ont beaucoup d’ambre, car il y a quantité de baleines dans la mer, qu’ils capturent, ainsi que de grands cachalots qui, comme les baleines, produisent de l’ambre. On trouve également dans l’île abondance de léopards, d’ours, de lions et d’autres bêtes sauvages. C’est la raison pour laquelle il vient là des marchands en grand nombre. Mais leurs navires ne peuvent aller vers d’autres îles, plus au sud que Madagascar et Zanzibar, car le courant y est si fort en direction du sud que les bateaux qui iraient ne pourraient faire route arrière. Les bateaux mettent à peine vingt jours pour aller de Maabar à Madagascar, mais plus de trois mois dans l’autre sens, tant le courant du sud qui leur est contraire est fort. Il est fort en toutes saisons. C’est extraordinaire. On raconte que dans ces îles, où l’on ne peut aller à cause du courant qui empêcherait le retour, l’on trouve, en certaines saisons, des griffons. Ils sont différents des nôtres. Certains qui les ont vus ont raconté à Marc Polo qu’ils ressemblent à des aigles, mais en beaucoup plus grand. Ouvertes, leurs ailes couvrent plus de trente pas, et leurs pennes plus de douze. Ils sont si forts qu’ils prennent un éléphant dans leurs griffes, l’enlèvent dans le ciel, puis le laissent tomber pour le tuer. Ils descendent alors et le dévorent. Les habitants de l’île les nomment rut. Je ne sali rais dire si ce sont vraiment des griffons ou des oiseaux d’une autre espèce. Mais c’est un fait qu’ils ne sont pas moitié oiseaux et moitié lions comme nous disons que sont les griffons. Ils sont immenses et ressemblent exactement à l’aigle. Le Grand Khan envoya des gens à lui s’informer de ces curiosités, et c’est ce qu’ils lui racontèrent. Il les envoya également délivrer un de ses ambassadeurs retenu dans l’île. Ils le délivrèrent et racontèrent d’étranges nouvelles au Grand Khan. Ils lui rapportèrent deux dents de sanglier, qui pesaient chacune plus de quatorze livres. C’est dire la taille du sanglier. Et lui expliquèrent qu’ils avaient vu des sangliers qui avaient la taille de buffles. On y trouve aussi des girafes et des ânes sauvages, et toutes sortes d’animaux sauvages tout à fait extraordinaires. Il n’y a rien d’autre à en dire. »

Une carte française du début du seizième siècle quand l'île de Madagascar porte encore ses deux noms.

Les premiers Français à prendre pied sur les côtes sont les frères Jean et Raoul Parmentier de Dieppe, en 1529. Cette première expérience se solde par la mort de trois marins français, après plusieurs tentatives d’approche. D’autres Français tenteront l’aventure après eux, des Hollandais, des Anglais. Tous chercheront à s’installer en divers points de la côte, sans succès.

En 1642, des Français débarquent à Madagascar pour y fonder une colonie. Ils s’installent l’année suivante à Fort-Dauphin sur la presqu’île d’Itaperina, à la pointe Sud de l’île. L’année 1648 voit l’arrivée d’un nouveau gouverneur, Étienne de Flacourt, qui doit faire face à une gigantesque révolte, impliquant des guerriers de la région. Il tente une première fois de quitter l’île en 1653, y réussit cinq ans plus tard, publiant dès son retour une Histoire de la Grande-Isle. Il meurt en 1660 au large des côtes du Portugal alors qu’il s’apprêtait à retourner à Madagascar. En 1665, pourtant, les Français font état d’une annexion toute théorique de Madagascar, qu’ils rebaptisent Île Dauphine. En 1669, une escadre de neuf navires embarquant deux mille cinq-cents hommes est envoyée en Orient -une débauche de moyens pour la marine française. L’expédition s’achève en désastre, et réussit au passage à soulever les populations malgaches. Des quatre mille colons débarqués depuis 1642, il ne reste que soixante-trois survivants, qui se réfugient sur l’île Bourbon (La Réunion) en 1674. Il faut attendre le siècle suivant pour que les îles Mascareignes connaissent un véritable essor. C’est de ces îles que désormais vont se développer les ambitions françaises sur Madagascar.

Fort-Dauphin dessiné par Étienne de Flacourt en 1650.

En 1768, c’est un planteur de l’Île de France -nom donné à l’île Maurice de 1715 à 1810- le comte de Maudave, qui remet pied à Fort-Dauphin, avec l’idée d’en faire une base de ravitaillement pour les Mascareignes. Mais le ministère de la Marine renonce presque aussitôt au projet, jugé trop couteux, et finalement nuisible à la traite des esclaves. Sur ce point, le comte Maudave a des idées peu communes pour son époque: il condamne l’esclavage et propose de favoriser les mariages mixtes avec des femmes malgaches. En 1771, il quitte Madagascar.

Les Îles Mascareignes vers1780. De gauche à droite, l'ïle Bourbon (future Île de la Réunion),l'Île de France (future Île Maurice) et l'Île Rodrigues . Dessin de Rigobert Bonne pour l'Abbé Raynal, Atlas de Toutes les Parties Connues du Globe Terrestre, Dressé pour l'Histoire Philosophique et Politique des Établissemens et du Commerce des Européens dans les Deux Indes .

En 1773, un aventurier hongrois au service de la couronne polonaise, Maurice Beniowski, débarque sur l’ïle de France. Fait prisonnier par les Russes, il a été déporté sur la presqu’île du Kamtchatka -autrement dit la lune- d’où il a organisé une évasion collective. De là, il a rejoint Macao puis la France, d’où il est reparti avec les « Volontaires de Beniowski », un corps expéditionnaire chargé d’établir un établissement de traite à destination de l’île de France. Il choisit la baie d’Antongil sur la côte orientale. Son rêve est alors de conquérir l’île tout entière, mais sans connaissance des réalités du terrain, il multiplie les erreurs. Il s’efforce néanmoins de faire croire à ses correspondants qu’il est sur la bonne voie. La supercherie dévoilée, Maurice Beniowski quitte Madagascar en 1776. Lors d’un second séjour, il se fait proclamer roi avant d’être tué en 1786, au cours d’une escarmouche avec les troupes du gouverneur de l’île de France, finalement envoyées contre lui.

C’est à cette époque qu’a lieu la première incursion documentée d’un Européen à Tananarive: l’auteur du voyage, comme de sa relation, est le Français Nicolas Mayeur, agent de traite et interprète de Beniowki, en 1777.

Andrianampoinimerina, premier roi de l'Imerina réunifiée, règne de 1787 à 1810. Il n'a été vu que d'un seul Européen, et dans ce portrait posthume, il est représenté avec des habits traditionnels. Son successeur Radama Ier, surnommé le conquérant, dans le portrait de 1825 que nous lui connaissons, porte un uniforme qui évoque en revanche la tenue d'un officier hussard de la Révolution française.

Après 1776, on renoue avec l’exploitation de la côte en comptoirs. Après la reddition de l’île de la Réunion et de l’île Maurice en 1810 -seule la première reviendra à la France en 1814-, puis du port malgache de Tamatave l’année suivante, la France perd un temps tous ses points d’ancrage dans la région. Lorsque le Français Sylvain Roux revient à la Réunion, il se heurte au gouverneur de l’île Maurice, Sir Farqhar. Pour contrecarrer les ambitions françaises, ce dernier s’attache en 1817 à reconnaître la souveraineté du roi de l’Imerina Radama Ier comme « roi de Madagascar ». Il exige de lui qu’il supprime la traite sur l’ensemble de l’île -laquelle sert alors la Réunion et non l’île Maurice. Une piastre sera versée au roi pour chaque esclave non exporté, afin de soutenir l’effort de guerre du roi conquérant.

De 1822 à 1827, toujours grâce au soutien britannique, Radama Ier se lance dans la conquête de l’île, aidé par la mort de Sylvain Roux en 1823. La domination qu’il établit est fragile, pour ne pas dire illusoire, mais elle n’en reste pas moins unique par son ampleur. Sous son règne encore, la langue malgache est transcrite en alphabet latin, et quatre mille de ses compatriotes savent lire et écrire dès 1827. Ironie du sort, c’est un ancien grognard de Napoléon, un certain Robin, qui sert de précepteur à Radama Ier. Aussi les Anglais, qui ne connaissent pas le malgache, doivent s’adresser à lui en français. Radama Ier meurt subitement en 1828. La reine Ranavalona Ier lui succède.

La structure en bois du Palais Royal à Tananarive est l'œuvre du Français Jean Laborde sous le règne de Ranavalona Ier. Sous celui de Ranavalona II, une enceinte de pierre vient protéger l'édifice en bois. C'est tout ce qu'il subsiste de la cité royale après l'incendie de 1995 (Ici vers 1875).

Sous le règne de Ranavalona Ier, surnommé « la cruelle », les missionnaires britanniques sont invités à se contenter de tâches éducatives et à mettre un terme à tout prosélytisme religieux. Elle met à son service le Français Jean Laborde, naufragé sur l’île en 1832. Avec peu de moyens et beaucoup d’inventivité, ce dernier met au point une véritable industrie à Mantasoa. Il fabrique des fusils et de la poudre, mais aussi du verre, du savon, des bougies, de la soie, des épées, des tuiles, des paratonnerres et des produits chimiques. L’action conjuguée d’une reine moins traditionaliste qu’on le croit et d’un aventurier français devenu sujet malgache favorise l’émergence d’une industrie nationale. Jean Laborde devient consul de France sous Napoléon III. Il bénéficie à sa mort, en 1878, de funérailles nationales -malgaches cela s’entend.

Un haut fourneau à Mantasoa. Jean Laborde se révèle aussi ingénieur-hydraulicien en amenant l'eau au palais royal, au moyen de canons de fusils placés bout à bout. Pour autant, il n'y a pas que son énergie et son inventivité qui deviennent proverbiales. Un siècle plus tard, on entend dire encore: "Rarahan-Imantasoa, ny tsy vita ihany no isaina", "c'est comme le travail de Mantasoa, on ne compte que ce qu'il reste à faire". Le souvenir de ces excès est tel qu'en 1889, lorsqu'une poterie est créée par une société française dans les environs de Mantasoa, la population qui redoute une nouvelle corvée prend aussitôt la fuite. Nous reviendrons sur la question pour la période de Gallieni.

L’adresse de Ranavalona Ier du 26 février 1835 aux Européens est restée dans les mémoires. Elle dit assez l’habileté de son règne:

« Et je vous dis, à vous, mes amis, en reconnaissance de ce que vous avez fait pour mon pays et mon royaume, en enseignant la sagesse et la connaissance, je vous remercie, car j’aime et j’apprécie cela. J’ai vu ce que vous avez fait pour Radama et à mon avènement, vous n’avez rien changé mais vous avez continué à faire ce qui est bien pour ce pays.

Alors je vous déclare à vous tous Européens, si vous restez encore dans mon pays, vous pouvez suivre toutes vos coutumes et toutes vos habitudes. N’ayez aucune crainte, je ne changerai rien à vos coutumes et à vos habitudes, car vous avez fait du bien à mon royaume; toutefois, malgré cela, si quelqu’un transgresse les lois de mon pays, je le mettrai à mort, quel qu’il soit, mais ce n’est pas seulement ici que cela se fait, où que ce soit, quiconque transgresse les lois du pays est mis à mort.

En outre, je vous le dis franchement, si ce peuple, qui est mien, veut changer les coutumes de mes ancêtres établies depuis les Douze Rois jusqu’à Andrinampoinimerina et Ilehidama, s’il ose changer cela, je m’y opposerai, car ce que m’ont laissé mes ancêtres, je ne le laisserai pas transformer par un homme. De mes coutumes, je n’ai aucune honte ni aucune crainte. Toute sagesse et toute connaissance pouvant faire le bien de ce pays, je les accepte, mais toucher aux coutumes de mes ancêtres serait du vain travail car je m’y opposerai.

Aussi, en ce qui concerne la religion, le dimanche ou le jour de la semaine, les baptêmes et les associations, j’interdis à mon peuple, à l’intérieur de mon pays d’y prendre part, mais vous, Européens, suivez vos coutumes et vos habitudes. Cependant, si vous avez encore quelques métiers ou de la sagesse à enseigner pour le bien de mon peuple, faites-le, car cela est bien.

Voilà donc le message, je voudrais que vous l’entendiez, vous, mes amis.

Signé : Ranavalonamanjaka » (« Ranavalona régnante » ) Traduction de Raharinarivonirina.

Quand, dix ans plus tard, Ranavalona repousse une attaque franco-anglaise à Tamatave, c’est pour rompre aussitôt les relations avec l’extérieur. La Réunion et Maurice se voient coupées de leur approvisionnement en riz et en viande. Le trafic des « engagés » -qui a remplacé la traite- est interrompu lui aussi, au grand profit des royaumes de sud-ouest qui hors de tout contrôle de la dynastie Merina, s’enrichissent et équipent leurs armées. Sous la pression de ses conseillers français et de son fils favori, Rakoto, la reine finit par rouvrir ses ports en 1853. Elle les referme quatre ans plus tard alors qu’une conjuration se prépare, fomentée par un aventurier français, Joseph Lambert, qui cherche à la renverser au profit de ce même fils, réputé plus libéral.

Durant son règne, les corvées s’alourdissent: Jean Laborde emploie 20 000 corvéables à Mantasoa, et le mécontentement qu’il fait naître lui vaut d’être frappé d’expulsion comme tous les étrangers en 1857. À chaque nouvelle crise, les chrétiens se changent en boucs émissaires. La mort de Ranavalona Ier, en 1861, amène Rakoto au pouvoir, sous le nom de Radama II. Un changement radical s’opère.

NEPPE (capitaine), GRANDIDIER, Alfred. Guide de l'immigrant à Madagascar. Atlas. Paris, Armand Colin & C.ie, 1899. Toutes les cartes de l'Atlas sont l'œuvre d'Alfred Grandidier.

Radama II rouvre le pays avec le même empressement que sa mère avait eu à le fermer. La liberté de pensée et de culte est proclamée. Les missionnaires protestants, rappelés après vingt ans d’exil, sont suivis de missionnaires catholiques. Jean Laborde fait son retour quand Joseph Lambert obtient la confirmation de privilèges exorbitants. En 1862, Napoléon III reconnait Radama II comme « roi de Madagascar sous réserve des droits de la France ». Derrière la reconnaissance toute théorique d’une souveraineté de la dynastie Merina sur l’ensemble de l’île, il n’est guère difficile de voir un premier pas diplomatique vers le protectorat. Jean Laborde devient consul de France et contrecarre les intérêts anglais. Ces évolutions rapides suscitent les mécontentements, et le jeune Radama II meurt étranglé en 1863. À la tête de la conspiration, on trouve un certain Rainilaiarivony, qui très vite va incarner la réalité du pouvoir, jusqu’à sa destitution par Gallieni, en 1896.

La première épouse de Radama II lui succède sous le nom de Rasoherina. Elle meurt en 1868  après avoir épousé Rainilaiarivony, le nouveau premier ministre.

Le premier ministre Rainilaiarivony inspecte ses troupes en 1865. Malgré ses efforts constants pour mettre en place une armée moderne, celle-ci se montrera incapable de résister au corps expéditionnaire du Général Duschesne en 1895, pourtant bien mal préparé.

Rainilaiarivony devient le mari de la nouvelle reine, seconde épouse de feu Radama II. Le mariage a lieu selon le rite protestant. Le protestantisme devient religion officielle. Les « droits de la France » sont en recul. À raison, le premier ministre se méfie de ses ambitions, et comme au temps de Sir Farqhar, il s’appuie sur l’Angleterre pour les contrecarrer. La compagnie de Madagascar, fondée en 1863 avant la mort de Radama, a fait long feu, et Napoléon III obtient une indemnité pour ses actionnaires en 1868. Il y ajoute un protectorat sur les royaumes salakaves à l’Ouest de l’île, rivaux du roi Merina.

L’Angleterre répond sans enthousiasme à la sollicitation malgache de réorganiser l’armée, tandis que Rainilaiarivony instaure le service militaire obligatoire en 1879. Il fait promulguer, dès le couronnement de Ranavalona II, le code des 101 articles, qui deviennent 305 dans le code de 1881.

Le géographe Alfred Grandidier explore le pays qu’il documente et cartographie. En 1877, il fournit une carte de l’île modestement nommée esquisse, mais qui est en fait une véritable « prise de possession scientifique précédant la prise de possession effective ».

Le camp militaire de Mahasina, "champ de mars" de Tananarive, qui accueille aujourd'hui son stade. C'est ici que Ranavalona III est couronnée reine le jour de son anniversaire, le 22 novembre 1883. Dès l'année suivante, le Fandroana, fête du bain sacré, est fixé sur ce jour-là. Il fait office de fête nationale jusqu'en 1896. L'année suivante, les Français imposent... le 14 juillet.

La succession de Jean Laborde en 1878 est une source de tension entre la France et le royaume Merina. Les prétentions françaises sur le nord-est de l’île en sont une autre. Une ambassade malgache à Paris et à Londres en 1882 révèle l’isolement diplomatique de Madagascar et l’absence de soutien britannique.

Les colons réunionnais sont de nouveau au premier rang. Leurs députés en France ont réussi à persuader une majorité du bienfondé d’une intervention. François de Mahy, par exemple, n’est ministre de la Marine et des Colonies qu’un seul mois, en février 1883. Mais c’est assez pour qu’il envoie une expédition navale occuper les ports de la côte orientale. et exiger la cession de Madagascar au nord du 16e parallèle. Jules Ferry entérine en partie les desiderata de son ministre mais les Français sont tenus en échec dans la région de Tamatave par Rainandriamampandry. L’expédition du Tonkin ne permet pas de pousser plus loin les ambitions dans l’immédiat.

Ranavalona II meurt durant l’été 1883. Ranavalona III lui succède. Elle a 22 ans, et devient elle aussi l’épouse de Rainilaiarivony, qui en a désormais 55. Elle sera la dernière reine du royaume Merina.

Une paix de compromis est signée en décembre 1885. La France renonce au terme de « protectorat ». Elle obtient la concession de de la baie de Diégo-Suarez -Antsiranana- au nord pour 99 ans et la présence d’un résident à Tananarive, chargé de « présider aux relations extérieures de la France ». S’y ajoutent la liberté d’établissement pour les nationaux français et 10 millions d’indemnité pour la France.

En apparence, les Réunionnais ont perdu la partie. Mais le véritable rapport de force s’engage maintenant. Plus tard, l’administrateur colonial et historien Hubert Deschamps surnommera ce traité le « protectorat fantôme ».

Après l'intervention de 1883-1885, le gouvernement fait appel, par l'intermédiaire de Le Myre de Vilers, au Comptoir National d'Escompte pour l'émission du premier emprunt destiné à résorber l'indemnité de guerre que la France exige des Malgaches. Le service des intérêts et de l'amortissement est assuré par les recettes des douanes des six principaux ports. Au fur et à mesure de son implantation, le comptoir supplante sa rivale britannique. Jusqu'en 1925 et la création de la Banque de Madagascar, le Comptoir -qui est l'une des banques à l'origine de la BNP Paribas en 1966- gère en monopole le dépôt, le transport de fonds, l'introduction de la monnaie métallique et un change à 1%, corollaire d'une absence de billet de banque local. Sur cette image, on voit en arrière-plan l'agence de Tananarive.

Pour aller plus loin:

Quelques liens et références dont je me suis servi pour cette première partie du récit:

Ce texte reprend et prolonge la conférence donnée à Tours le 24 mai 2012, à l’invitation de l’association Touraine-Madagascar. Merci à Jean Rouault pour son précieux soutien documentaire et à Jean-Luc Raharimanana pour son regard critique. Cette recherche est d’ailleurs le prolongement en amont d’un entretien sur l’insurrection de 1947, avec le même Jean-Luc Raharimanana. Toutes les contributions de ce site sur l’histoire coloniale sont classées dans la rubrique Histoire(s) d’Afrique. Nombre d’entre elles -et en particulier celle-ci- participent d’une recherche globale sur les Lieux d’oubli en France.

 

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