Le triomphe de Grillo et du « mouvement-entreprise », par Giuliano Santoro.

 
Aux élections du 24 et 25 février 2013, le Mouvement 5 Étoiles de Beppe Grillo a obtenu environ 25% des voix dans les deux Chambres du Parlement italien, rendant très difficile la formation d’une majorité stable et donc d’un gouvernement. J’ai déjà publié sur ce site la traduction d’un entretien de Giuliano Santoro avec Wu Ming 2 autour du livre Un Grillo qualunque, paru en novembre 2012. Voici ce que Giuliano Santoro écrit au lendemain des élections.

On annonçait un succès pour Grillo. Au lieu de quoi il a connu un triomphe. La stratégie de communication du comique qui envahit la toile et l’utilise pour faire passer ses messages du haut vers le bas a gagné. Il a gagné celui qui élargit le sillon unissant la télévision à la toile pour y tracer une autoroute à trois voies parcourue par des autocars d’électeurs fuyant le système des partis. Les réfugiés du vote fuient armes et bagages les décombres fumants de la crise économique et démocratique. Ce sont des hommes et des femmes, et parmi eux il y aura aussi quelques parlementaires débutants, qu’on ne doit pas diaboliser mais qu’il faut comprendre, parce que la souffrance doit être respectée quand bien même elle mènerait à l’erreur: ils ont pris le chemin le plus facile parce que de manière dramatique il leur est apparu comme la seule issue possible.

Après le ventennio1 du parti-entreprise berlusconien, le mouvement-entreprise de Grillo a gagné. De même que le premier avait déplacé l’organisation politique du vingtième siècle dans la logique du marketing et des intérêts privés, la créature de Grillo et Casaleggio déplace l’action des mouvements et jusqu’à la colère anti-système entre les murs imprenables de l’usine sociale postfordiste, là où le travail gratuit devient “créativité” et la discipline “liberté d’action”.

Ils ont gagné ceux qui utilisent la toile comme machine à capturer le créativité et clôturer une communauté qui a l’illusion de mettre enfin en valeur ses “compétences”, ceux qui avec l’excuse de la lutte contre la “Caste” bâtissent l’unité entre exploités et exploiteurs, riches et pauvres, faibles et forts (“Nous aspirons à cent pour cent des votes”, promet Grillo).

Ils ont perdu ceux qui espéraient répondre à un mouvement-entreprise avec un parti, ceux qui ont sous-évalué le déclin de la délégation mais aussi ceux qui ne se sont justement pas posé le problème de la délégation, pour la dépasser et aussi la bousculer.

Ils ont perdu les vrais mouvements, parce qu’ils se sont fait souffler quelques thèmes et l’allusion à quelques pratiques. Mais seuls les vrais mouvements connaissent l’antidote au mouvement-entreprise. Parce que chaque fois qu’un parti traditionnel essaiera de défier le grillisme il en sortira vaincu. Et parce que seuls les vrais mouvements peuvent mettre en pratique un autre usage de la toile et interroger concrètement le manque presque absolu de démocratie sous la marque du mouvement 5 Étoiles.

Le vote pour Grillo est à la mesure de l’incapacité de la politique des partis à changer vraiment la vie des personnes. “S’il ne s’agit de produire que des mots, alors autant faire parler celui qui fait rire et construit des rites collectifs qui exorcisent notre souffrance”,  semblent dire les électeurs qui ont remis la victoire à Beppe Grillo.

Mais que cela soit clair: celui qui n’a pas cessé l’agitation par le bas a le devoir de revendiquer comment, durant ces années, il a vraiment bâti d’autres formes de vie et d’autres formes de politique, construisant de nouvelles formes de coopération et de soutien mutuel, édifiant au bord du gouffre culturel du dernier ventennio comme de celui économique de la crise. La parole maintenant doit passer à ceux qui peuvent endiguer et saboter le marketing privé du grillisme, en montrant pratiquement ses limites et ses fausses promesses sans être pris pour autant pour les restaurateurs de la souveraineté violée des partis. Que les autres s’écartent, ils ont déjà perdu.

Texte original paru le 26 février 2013 sur le blog de l’auteur -hébergé par le site MicroMega. Traduit par Olivier Favier.

Photo: Tano d'Amico.

Photo: Tano d’Amico.

Pour aller plus loin:

  1. Référence au deux décennies du régime de Mussolini. []

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