La mort du vieux, par Mikhaïl Zochtchenko.

 

Une isba de paysans. Allongée sur une table, un vieillard moribond.
C’est le troisième jour qu’il est là, et il ne meurt toujours pas.
Aujourd’hui, on lui a mis un cierge dans la main. Le cierge tombe et s’éteint, mais on le rallume.
Les parents sont à son chevet. Ils ne quittent pas le vieux du regard. Tout autour, c’est une pauvreté inimaginable, des ordures, des chiffons, le dénuement…
Le vieux est couché face à la fenêtre. Son visage est sombre, tendu. Sa respiration, saccadée. Par moments, on dirait qu’il est déjà mort.

Je me penche vers la vieille, sa femme, et lui dis à voix basse:
-Je vais aller chercher le docteur. Ça ne rime à rien qu’il reste couché là, sur la table, depuis plus de deux jours.
La vieille fait non de la tête.
-Il faut le laisser tranquille, dit-elle.
Le vieux ouvre les yeux et son regard trouble se pose sur ceux qui l’entourent. Ses lèvres murmurent quelque chose.
L’une des femmes, jeune, brune de peau, se penche sur lui et écoute en silence ce qu’il cherche à dire.
-Qu’est-ce qu’il veut? demande la vieille.
-Il demande un téton, répond la femme. -Et dégrafant rapidement son corsage, elle prend la main du vieux et la pose sur son sein nu.
Le visage du vieillard s’éclaire. Une sorte de sourire apparaît sur ses lèvres. Sa respiration se fait plus égale, plus calme.
Tout le monde reste silencieux, immobile.
Soudain, le corps du vieux tressaille. Sa main retombe. Son visage prend une expression sévère et tout à fait paisible. Sa respiration s’arrête. Il est mort.
Aussitôt la vieille entonne la lamentation funèbre, que tous reprennent en chœur.
Je sors de l’isba.

Avant le lever du soleil, Gallimard, 1971 (traduction de Maya Minoustchine).

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