C’est là [au siège du Figaro] que j’ai fait mes début en 1892 sous Magnard. Je signais « un jeune homme moderne » des petites moralités un peu là et des filets assez acerbes. Dans le même temps, Barrès, jeune homme, aussi gai et blagueur que moi, collaborait à l’illustre maison. Nous étions les chouchous de Magnard qui nous gardait dans son cabinet pendant que se morfondaient à l’étage au-dessous, orné du buste de Villemessant, les plus importants personnages. Un jour nous aperçûmes, à la caisse, Verlaine, avec sa bobine de satyre retraité – nous lui faisions une petite pension, à quelques-uns, – qui venait palper ses pépètes, pas bien nombreuses. Naturellement il était saoul et, levant en l’air un gros doigt sale, il riait et répétait d’un air malicieux, indescriptible : « nonobstant… pourtant. »
Léon Daudet, Paris vécu, 1929.
Pour aller plus loin:
- Je dois la connaissance de cette anecdote à la lecture d’un article de Jean-Paul Iommi-Amunatégui, « Pauvre Lélian », paru dans le n°2 (avril 2012) de l’excellent mensuel L’impossible dirigé par Michel Butel. Grâce leur soit rendue.
- Verlaine intime, par Rémy de Gourmont (sur les dernières années de vie du poète).
- Guy Goffette, Verlaine d’ardoise et de pluie, Paris, Gallimard, 1996.
- La rubrique Sur la poésie.