Il s’appelle Mustapha, il a vingt ans, et demain matin, lundi 24 août 2015, si rien n’est fait d’ici là, un avion le ramènera dans un pays où il n’a plus aucune famille et qu’il n’a pas vu depuis l’âge de quatre ans. Ce pays, c’est l’Afghanistan. Il y a deux heures encore je ne savais rien de lui, et ce que j’écris provient d’un dossier, d’une lettre et d’une conversation téléphonique que j’ai eue avec un ami éducateur qui l’a longtemps suivi et qui est effondré. Il faut dire que le cas de Mustapha n’est pas des plus faciles à défendre. Il est de ceux pourtant qui doivent être entendus haut et fort, car le sort qui lui a été infligé hier à midi par la Cour d’appel de Douai, confirmant son expulsion, est peut-être le meilleur exemple de l’inhumanité à laquelle peut conduire une froide logique administrative et judiciaire.
Posons-le d’emblée. Alors qu’il n’était plus maître de ses moyens, Mustapha a commis par deux fois des agressions sexuelles, il a embrassé de force deux jeunes femmes et posé la main sur leur sexe sans toutefois aller jusqu’au viol. Par deux fois il a été condamné à de la prison ferme. Pour beaucoup, bien sûr, la nature de ce geste répété suffira à justifier la double peine qui conduira un jeune atteint de schizophrénie paranoïaque dans une ville et un pays inconnus, où il ne pourra pas se soigner, où il redeviendra mécaniquement dangereux pour les autres comme pour lui-même. Ceux qui rêvent d’un retour de la peine de mort pourront même applaudir. D’une façon ou d’une autre, et certainement à brève échéance, elle sera sa seule issue possible. On aura même créé les conditions idoines pour qu’il commette un acte irréparable avant de disparaître.
Je m’adresse aux autres.
Orphelin de père et de mère, Mustapha est arrivé à Téhéran en 2000, où il a été victime de maltraitances dans sa famille d’accueil. Dix ans plus tard, après un parcours migratoire chaotique, marqué là aussi par de nombreuses violences, il se retrouve à Paris où il passe plus d’un an en hôtel, avec une brève interruption pour un placement dans un lieu de vie en province, qui se solde par un échec. Peu suivi, non scolarisé, livré à lui-même, il est de ceux pour qui la majorité débouche inévitablement sur une mise à la rue, avant que de nouveaux échecs ne les conduisent à l’expulsion.
En juillet 2011, âgé de 16 ans, sous l’emprise de l’alcool et de stupéfiants, il commet une première agression. Sur la foi d’une expertise osseuse, il est déclaré majeur et incarcéré parmi les adultes de Fleury-Mérogis, en février 2012. Tout suivi psychologique est alors abandonné, et le personnel pénitentiaire finit par le mettre à l’isolement, « pour sa propre sécurité », suite aux nombreuses brimades que lui font subir ses co-détenus. Mis en liberté conditionnelle, il est accueilli chez un couple, un dispositif inadapté pour un jeune souffrant de troubles psychiques graves et de diverses addictions. Il finit à la rue, fait un bref passage au centre de rétention administrative de Vincennes après un contrôle de police où il n’a pas été en mesure de présenter ses papiers. Quelques temps plus tard, il est de nouveau condamné et incarcéré. Bénéficiant cette fois d’un réel suivi psychiatrique, il est stabilisé sous neuroleptiques avec l’espoir d’un placement et d’un suivi adéquat à sa sortie de prison.
Mais sa libération le conduit de nouveau en centre de rétention administrative, qu’il ne peut quitter après 45 jours que pour une assignation à résidence dans une ville de la région Centre qu’il ne connaît pas. Effrayé, il préfère se rendre chez un compatriote et ami à Boulogne-sur-Mer. Ce dernier croit bon d’en aviser le juge afin de se mettre en règle, mais son geste amène la préfète du Pas-de-Calais à faire interpeller Mustapha. Ce dernier est aussitôt placé au centre de rétention de Coquelles le 17 août. Cinq jours plus tard, son expulsion est confirmée sans recours possible.
Sa demande d’asile, qu’il n’a formulée que cette année, a été rejetée par la direction de l’OFPRA.
À cette étape, la vie de ce jeune homme de vingt ans est suspendue à la maigre possibilité dans la journée de faire parvenir son dossier au Ministre de l’Intérieur et à la possible intercession de ce dernier pour arrêter la procédure.
En ce dimanche d’août, après vingt ans d’une noirceur sans faille, l’Enfer s’appelle Mustapha.
Mise à jour : Mustapha a été finalement expulsé vers Kaboul le lundi 24 août au matin.