Par Olivier Favier et Francesco Pontorno.1
Si tu mesures dans le monde, dans ton cœur, la déception
tu sens que désormais elle ne mène pas
à une nouvelle aridité, mais à une vieille passion.
Pier Paolo Pasolini, La terra del lavoro.
Olivier Favier. — Luca Sossella m’a écrit dernièrement : « Je partage la pensée de celui qui ne parvient pas à lire un texte contemporain sans le mesurer à la biographie et à la biologie de celui qui l’écrit. » Je suis parfaitement d’accord avec cette idée, devenue hérétique après Proust et la sémiologie. En effet, votre œuvre entière me semble reposer sur ce défi, de faire de sa vie le champ même d’une réflexion impitoyable sur la vie. Elle suit un fil de pensée dialectique qui était déjà celui de la Renaissance, dans le sens où la réflexion n’est pas autre chose qu’un va-et-vient entre microcosme et macrocosme. Le risque inclut l’idée d’obscénité, qui devient l’un des fondements de votre poésie : pour vous, il me semble, la poésie dit ce qui normalement devrait rester « hors de scène ». Le poète serait ainsi la dernière figure du héros, quelque chose entre le guerrier et l’explorateur, une figure liée, en Italie, à l’expérience pasolinienne. Dans un tel contexte, les zones d’ombre n’en ressortent que davantage. Vous avez parlé de la passion jusqu’à l’indescriptible, passion amoureuse et passion politique, mais aussi du quotidien. Mais vous n’avez presque rien dit de l’enfance. Votre œuvre ne s’arrêterait que sur les choix de vie, les choix véritables en somme, la seule chose que, tout compte fait, l’on peut et l’on doit assumer ?
Carlo Bordini. — Je crois que oui. Au moins dans mon cas. J’ai refoulé mon enfance, et toute ma vie a été une tentative pour dépasser ce qu’elle a été. Je ne parle pas de mon enfance parce qu’elle a été un trou noir, un trou noir d’où sortir pour essayer tout doucement de se reconstruire ou, plutôt, de se construire. Au fond, toute ma vie a été cela. Et aussi mon écriture.
Olivier Favier. — Vous parlez souvent d’Apollinaire et vous le citez comme le poète qui vous a le plus influencé. Dans quel sens ?
Carlo Bordini. — Je crois qu’Apollinaire est le seul poète à avoir laissé sa trace, sa musique dans mon souvenir. J’aime sa lucidité qui se conjugue avec un style rêveur et visionnaire, j’aime qu’il soit en même temps un poète narratif, un poète essayiste et un poète expérimental. Je pense que Zone est un poème qui, relu maintenant, à quelques cent années de distance, nous explique encore avec lucidité le monde dans lequel nous vivons, et nous enseigne à être tragique sans mélodrame, à raconter le réel en le faisant devenir irréel, à unir le vécu et le lyrisme à l’imagination. J’aime le long alexandrin d’Apollinaire, son parfum d’avant-garde. Ce qui me plaît en outre chez Apollinaire c’est l’apparente simplicité de son vers, qui prend une force olympienne. Zone est une des grandes synthèses poétiques du XXe siècle. C’est une des grandes interrogations que l’homme s’est permis de faire sur son destin. C’est le poème du traumatisme d’être modernes et de ne plus pouvoir être classiques, de ne plus pouvoir être chrétiens, d’être entré dans la civilisation des machines, dont Apollinaire a donné des images beaucoup plus fortes que celles des futuristes. Lucidité et émotion se conjuguent dans sa poésie, à mon avis, avec une force rare.Francesco Pontorno. — Pasolini est le seul poète sur lequel vous avez écrit deux articles. Pourquoi ?
Carlo Bordini. — Pasolini a contaminé sa poésie avec de nouveaux langages, qui viennent du bas, de la vie, avec le langage d’essayiste des nouveaux mouvements, et il a pris des risques, parce qu’il a brisé les schémas de la tradition littéraire italienne, un fardeau qui pèse depuis longtemps sur une bonne part de notre poésie. La vocation au langage académique dont nous ne réussissons pas à nous libérer et qui a toujours été brisée par les plus grands avec des choix iconoclastes, toujours mal digérés par les gardiens de la tradition. Pasolini a aussi pris le risque d’écrire des poésies laides parfois, et il est vrai que certaines de ses poèmes le sont, à côté d’autres très beaux, mais c’était le prix à payer ; parce qu’à la base de son travail il y avait l’idée de ne pas englober dans la tradition du langage académique l’esprit de ces nouveaux langages, mais de créer une langue nouvelle. J’ai toujours perçu le travail de Pasolini, surtout du dernier Pasolini poète, celui qui dépasse et qui brûle ce qui restait en lui de décadent et d’esthétisant, comme très proche du travail analogue accompli par Pirandello, qui a mis à bas, remis à zéro, toute la tradition du langage académique qui étouffait la dramaturgie italienne et ce faisant, a créé une nouvelle langue théâtrale.
Olivier Favier. — Vos points de référence poétiques — nous en avons cité quelques uns — sont peu nombreux, mais obsédants. La trace de certaines œuvres d’Apollinaire, d’Eliot et de Guido Gozzano se retrouve à des moments très différents de votre œuvre. Vous m’avez dit une fois que la poésie de Pound vous faisait penser à un océan. Il me semble que toutes ces expériences poétiques, vues par vous, marquent un besoin de dépassement des limites « classiques », normalement acceptées par le langage poétique. N’est-ce pas le cas, par exemple, de Zone ou de La Terre vaine ?
Carlo Bordini. — Apollinaire, Eliot, Gozzano, sont des poètes dont la langue est marquée par de forts éléments narratifs, ce qui n’est pas contradictoire avec d’autres éléments d’expérimentation et d’innovation. Gozzano est le père de la poésie italienne contemporaine, celui qui a essayé de nous libérer de D’Annunzio et qui a adopté une langue ordinaire, mais splendide. J’aime celui qui brise les conventions, qui corrompt, qui ne se soucie pas de la tradition et qui innove. Et j’aime aussi celui qui décide d’écrire dans la langue du quotidien. Gozzano a écrit dans la langue du quotidien à un très haut niveau.
Olivier Favier. — On pourrait aussi dire que votre poésie est en partie une forme de réponse à ces lectures jamais oubliées. Mais votre réaction n’a jamais été une réponse générationnelle, elle ressemble beaucoup plus à un dialogue hors du temps —semblable à celui opéré par les classiques de la Renaissance avec les grands poètes grecs et latins. Il semble que vous ne vous soyez jamais soucié de faire partie du milieu poétique italien officiel, d’être vu dans les groupes, de prendre part aux événements. Vous avez dit souvent, en outre, que vous ne vous sentiez pas à votre aise dans la tradition littéraire italienne. Qu’est-ce que cela signifie ?
Carlo Bordini. — J’ai choisi d’être chercheur en histoire pour être d’autant plus libre et indépendant des modes et des tendances qui parcourent le monde littéraire, et qui sont souvent non seulement stériles, mais aussi fallacieuses. J’ai préféré faire une longue réflexion personnelle. Étudier l’histoire, du reste, m’a beaucoup enrichi. Pour ce qui est de ne pas me sentir du tout à l’aise dans la tradition littéraire italienne, je dois dire avant tout que le XXe siècle a été pour la poésie italienne un siècle d’or. Malgré cela, j’ai toujours été frappé par le fait que la critique littéraire italienne soit encore liée à l’idée qu’en poésie il existe des matériaux nobles et d’autres qui ne le sont pas. Ce sont des idées qui ont été dépassées dans tous les autres domaines de l’expression artistique : dans la peinture, la musique, les plus grandes contaminations ont été acceptées, on a accepté la musique concrète, l’idée de faire des tableaux avec des sacs, etc. Dans une bonne part de la poésie italienne la langue littéraire et le langage académique trouvent encore leur point de rencontre et de compromis. Il y a en outre une autre considération à faire : le plus grand poète italien, le père de la poésie italienne, Dante, avec lequel nous torturons nos étudiants pendant des années, est un poète isolé en Italie. Les poètes italiens ne se réfèrent pas à Dante. Il y a eu de grands poètes du XXe siècle qui ont appris l’italien seulement pour lire Dante ; des poètes soucieux du destin de l’humanité, des poètes qui se posaient de grandes questions éthiques, je veux parler d’Eliot et de Pound. En Italie, le seul poète qui se soit senti proche de Dante c’est Pasolini. En somme, il me semble que la prédominance, profonde qui plus est, de l’élément apollinien sur l’élément dionysiaque et une certaine survivance du langage académique parcourent l’ensemble de la poésie italienne. Je ne dis pas que c’est un mal en soi, mais je ne me retrouve pas beaucoup dans cette tradition.Olivier Favier. — Vous avez écrit que « les grands artistes ne sont pas seulement doués mais qu’ils font aussi un autre parcours, ils choisissent de faire un autre parcours, toujours intérieur, et quelquefois aussi extérieur ». Cela serait, par exemple, ce qui fait la différence entre Dante et les autres poètes, aussi remarquables puissent-ils être, du Dolce Stil Novo ?
Carlo Bordini. — J’ai l’impression que la distance entre Dante et les autres poètes du Dolce Stil Novo est devenue vraiment immense, démesurée, quand Dante a décidé de suivre un autre parcours, c’est à dire d’aller dans l’au-delà et d’en revenir. Un grand artiste, naturellement, doit être doué, doit avoir du talent ; mais je ne crois pas que cela suffise. Un grand artiste est celui qui décide de faire un voyage. Un voyage en enfer ou au paradis. Enfer et paradis comme métaphore, et enfer et paradis intérieurs. Qu’il s’appelle Proust, Pasolini, Dante ou Baudelaire, c’est toujours quelqu’un qui a décidé de faire un voyage. Les grands artistes ont toujours beaucoup de courage et ils finissent parfois, nous le savons bien, par y laisser leur peau.
Francesco Pontorno. — Marco Giovenale a écrit avec justesse : «Bordini a su et sait dissoudre en un même condensé, sans rien perdre, les sels de trois flacons qui ne vont pas toujours ensemble, en cette fin et en ce début de millénaire : éthique, politique, écriture de recherche.» Croyez-vous que l’engagement puisse quelquefois constituer une dérive de la personnalité de l’artiste ?
Carlo Bordini. — Pour ce qui est de l’engagement, je crois que quelquefois le devoir être prévaut sur l’être et le détruit. Cela m’est arrivé très souvent à moi aussi. J’ai appris à me méfier des idéologies et du sens du devoir. La réalité est infiniment plus grande et plus vraie que la pensée. Par réalité j’entends aussi ce que nous sommes capables de penser et de sentir librement. Ce discours mériterait d’être approfondi. Je crois que si l’on examinait tous les écrits des auteurs qui ont fait de la littérature civique, engagée (et il y en a eu beaucoup dans les cent cinquante dernières années) on aurait des surprises, et l’on découvrirait que seuls ont fonctionné ceux qui étaient en dehors des systèmes, ceux qui avaient en eux quelque chose d’hérétique ou quelque élément relevant de l’hérésie (terme de prédilection de Pasolini).
Francesco Pontorno. — Votre expérience trotskiste, qui fut également celle de beaucoup de jeunes de votre génération, a laissé en vous une lacune, par rapport à la majeure partie des poètes italiens de votre âge. Une lacune culturelle qui n’a pas permis à votre formation universitaire d’être conforme, une lacune biographique qui semble fonctionner comme une cloche d’air, dans laquelle vous avez pourtant indubitablement vécu, quoique loin de la littérature et de la poésie. À part certains thèmes, ou par exemple un poème intense comme Poème à Trotsky, que reste-t-il dans votre poésie de cette vieille passion ?
Carlo Bordini. — Je suis en train d’écrire un roman qui a pour titre Autobiographie d’un trotskyste. Je l’ai commencé dans les années soixante-dix et c’est seulement maintenant que je parviens à le terminer. Cette expérience politique, qui a été en partie une fuite hors de la réalité, et en partie une fuite dans l’utopie, a eu sur moi une très grande influence, tant positive que négative. Ce qu’il en reste ? Je crois que je ne serais pas celui que je suis si je n’avais pas fait cette expérience.
Olivier Favier. — Vous avez écrit un hommage au photographe Luigi Ghirri, l’année de sa mort, intitulé La simplicité2 . Dans ces deux pages je vois la clé non seulement des merveilleuses photographies en couleurs du maître de Reggio Emilia, mais aussi de votre poésie. Cette manière de vous définir en définissant l’autre, vous l’aviez déjà éprouvée dans votre premier essai sur Pasolini, en 1976, Un courage à moitié. Parlant de la simplicité, vous avez dit beaucoup de ce que vous pensez de la poésie, de l’oralité, du binôme centre-périphérie, du caractère classique qui n’est pas un classicisme. Et vous avez trouvé finalement cette phrase : « la poésie est un plat de pauvres ». Une idée mûrie, me semble-t-il, au cours de votre voyage en Colombie. Votre histoire ne pourrait-elle pas être celle de la simplicité conquise ?
Carlo Bordini. — Une poétesse serbe, Duška Vhrovac, m’a dit récemment que la simplicité est le point le plus haut, non le plus bas. C’est le point d’arrivée, non celui de départ. Je crois que la simplicité peut être une chose très complexe, une architecture harmonieuse qui apparaît dans sa simplicité en ce qu’elle est formée à la façon d’une harmonie. Je crois que l’art classique est ainsi, par exemple. Quant au fait que la poésie soit un plat de pauvres, je ne sais pas, je suis impressionné par le fait que dans une époque aussi technologique que la nôtre la poésie puisse encore exister, qu’on puisse encore écrire avec un stylo à bille. Je suis impressionné par le fait que dans les pays pauvres il y ait plus de poésie que dans les pays riches. C’est ce que j’ai constaté durant mon voyage en Colombie, et cela m’a beaucoup impressionné. Je ne sais pas quoi vous dire sur la simplicité conquise, c’est un problème trop personnel et c’est pourquoi je n’en sais rien. Je voudrais revenir sur mon expérience colombienne en revanche, et de manière plus générale, sur la plus grande importance accordée à la poésie et à la culture en son entier, qu’on peut voir facilement dans les pays pauvres, dans les périphéries du monde, dont je soutiens qu’ils sont à notre époque meilleurs que ce qui est supposé être le centre. Je voudrais souligner le sens du sacré qui entoure encore la culture de ces pays. Dans ces pays, le sens du sacré est très fort. Beaucoup plus que chez nous. C’est un sens du sacré qui ne passe pas à travers des intégrismes. Chaque société probablement a besoin d’un sens du sacré, et je l’ai vu à l’œuvre en Colombie. Des gens qui pleurent parce qu’ils écoutent un poème, par exemple. Un sens du sacré qui ne passe pas à travers une religion, mais à travers une recherche du sens de l’existence. Il m’est arrivé à différentes reprises en Colombie de rencontrer des gens qui après une lecture me demandaient ce qu’était pour moi la poésie, comment j’écrivais des poèmes, etc. Je suis convaincu que ces personnes avaient apprécié, bien sûr, la poésie qu’ils venaient d’écouter, mais surtout qu’ils voulaient comprendre ce qu’il y avait derrière la poésie. Autrement dit, la poésie était pour eux la partie émergée de l’iceberg d’un monde qu’il voulait connaître, découvrir. Il ne s’agissait pas de découvrir mon monde intérieur, mais de découvrir une clé d’interprétation de la réalité. Le sens du sacré, c’est cela. C’est cela le sens du sacré que nous avons perdu.Olivier Favier. — Dans le poème Poussière vous parlez très souvent de déchets, et vous les assimilez même aux blessures. Mais de ces déchets, qui sont ce qu’il reste de la catastrophe, vous écrivez que pourrait naître, peut-être, une nouvelle forme de vie. Pouvez-vous expliquer ce que vous pensez à ce propos ?
Carlo Bordini. — D’après les orientations les plus récentes de la physique, les planètes ont été formées par les déchets formés à la suite des explosions des étoiles, qui se sont ensuite compactés. Ce qui signifie, métaphoriquement, sur le plan humain, qu’aux blessures apportées par la vie (qui morcelle les personnes, crée des déchets, et détermine la rupture de l’unité classique) on peut en quelque sorte répondre en faisant de ses propres déchets une force. En les compactant dans une nouvelle unité. Tel est le sens du poème. Quelque chose sur la vie artificielle, ou sur la civilisation, et aussi sur l’idée que la faiblesse peut être une force. Et aussi, ou surtout, sur la possibilité d’une renaissance. Cette idée peut devenir aussi un élément stylistique : à travers la rupture du langage, justement, on peut recomposer une unité. Les fragments, les déchets d’un discours cohérent, que ce soit en poésie ou en prose, peuvent bien exprimer l’état des choses. Je voudrais aussi ajouter quelque chose d’autre qui concerne la poésie dans son étrange rapport avec la science : j’ai été très impressionné par l’article de la revue Science qui parle de la structure de l’ADN. Le génome humain, une fois déplié, mesurerait deux mètres, et pourtant il peut entrer dans le noyau d’une cellule qui a un diamètre d’un centième de millimètre sans s’enchevêtrer ou faire des nœuds. Les scientifiques ont découvert comment se produit ce phénomène impossible en apparence : le génome se replie jusqu’à former une fractale, c’est à dire un objet géométrique dont la structure répète la même forme à des échelles différentes. Il me semble en fin de compte que la poésie a quelque chose de commun avec la structure de la fractale, parce qu’elle répète et exprime, symboliquement au niveau du microcosme, ce qui existe au niveau du macrocosme. La Comédie de Dante peut être perçue comme une fractale, parce qu’elle répète tant au niveau de son articulation globale que de sa structure le chiffre trois. Et je crois que cela se répète et explose dans l’art de la Renaissance. Je dois ajouter qu’on ne peut pas réduire cela à un schéma, à une formule mathématique. Dante est capable d’exprimer dans le microcosme le hurlement et l’horreur de la vie qui s’exprime dans le macrocosme réel.Francesco Pontorno. — Quand vous avez réalisé avec Antonio Veneziani cette créature anthologique sous certains aspects digne de Frankenstein qu’est Du fond. La poésie des marginaux, vous pensiez vraiment que tout le monde pouvait être poète ?
Carlo Bordini. — En un certain sens, oui. Récemment j’ai lu une phrase de Toscanini, citée par Leo de Berardinis : « Il faut être démocratique dans la vie et aristocratique dans l’art ». Je trouve que c’est une phrase très belle. Mais à cette époque la poésie était réellement diffusée, elle faisait partie de la vie. Elle circulait partout. Ce qui se produisait était poétique. Naïvement poétique. Et tragique.
Francesco Pontorno. — Vous avez écrit en trois nuits un livre de poèmes d’amour, Stratégie. Vous avez aussi écrit un roman, Gustavo, dans lequel un homme tombe amoureux d’une femme qu’il a quittée, et qui est devenue pour lui un fantôme. Vous avez en outre évoqué un amour terrible dans votre Manuel d’autodestruction6. Dans tous ces livres l’amour est vu comme une passion qui confine au traumatisme, où le traumatisme est toujours présent…
Carlo Bordini. — J’ai voulu montrer comment les fractures amoureuses ont une répercussion en profondeur, comment elles ne sont en rien des processus indolores. Les désamours sont des processus compliqués. L’amour vit en effet dans la proximité du trauma ; souvent il habite en lui. Cette chose m’est si personnelle que j’ai du mal à en parler. Sinon par personne interposée. Dans le roman que je suis en train de terminer, par exemple, malgré le titre, l’amour, l’amour comme trauma, a une place très importante. Si je n’exprimais pas certains traumatismes, écrire ce roman n’aurait pour moi aucun sens.
Olivier Favier. — Pourquoi écrivez-vous ?
Carlo Bordini. — J’écris pour donner un ordre à ma vie. Pour ne pas devenir fou.
Poussière/Polvere et Danger/Pericolo ont été publiés respectivement en 2008 et 2010 à Évian, chez Alidades.