[Le 3 novembre prochain, Antonella Amirante mettra en scène la pièce de Simon Grangeat, Du piment dans les yeux, inspirée de l’histoire de Mohamed Zampou. Ce dernier y tiendra le rôle principal. Pour accompagner cette création, Antonella a conçu le projet Frontières et m’a proposé d’animer un atelier. Avec un groupe de lycéens, nous sommes allés interroger quelques personnes nées à l’étranger et vivant aujourd’hui dans l’agglomération de Vienne, en Isère. Le 16 février, nous avons rencontré trois octogénaires vivant dans une maison de retraite du quartier de Malissol, un couple d’origine portugaise et une dame italienne. Nous nous sommes retrouvés une semaine plus tard pour écrire ensemble des textes qui seront présentés au public en mai. Tiana et Simon, 17 ans, avaient déjà rédigé ces deux portraits que j’ai le bonheur de vous faire découvrir.]
Les français, ils n’aiment pas les étrangers. Ils sont tous jaloux. Pourquoi ? Per cose di merda !
Ici en France, j’ai été enceinte pour la cinquième fois. À la poubelle ! J’ai fait une fausse couche en secret. Je ne le souhaite à personne, la mort elle est passée à ça. Les médecins français, ils m’ont mal soignée parce que j’étais étrangère. Mais j’étais pas prête à mourir. J’ai dit à mon mari: “Ça m’énerve! Tu crois qu’on est des vaches espagnoles? Que vos zizis c’est pour nous étouffer? Quatre, ça me suffisait largement, si t’es pas content, va chercher ailleurs!” Tous des salauds! Je me suis pas laissé faire. Pourtant, je l’aimais…
J’avais une sœur. Quand j’avais 15 ans, on est allées à un bal. C’est là que je l’ai rencontré. Ma sœur, elle était mariée avec son frère ! On a dansé ensemble. Je dansais beaucoup, à l’époque, la valse, le cha-cha-cha, le tango. Aujourd’hui, je suis en maison de retraite, je parle, je mange, je bois, c’est pour ça que j’ai grossi ! Enfin, j’ai tout de suite eu le coup de foudre.
On a commencé à sortir ensemble… On s’amusait bien tous les deux ! On faisait l’amour ! Avant le mariage ! Bah, au début on faisait attention et puis… C’est comme ça que je me suis retrouvée enceinte à 17 ans. C’est pour ça qu’on s’est mariés. C’était pas la belle vie, mais on s’aimait. J’étais à deux mois d’accoucher le jour de la cérémonie… Imagine un peu la tête de la robe !
Mon père aussi, il aimait bien mon mari. Parce que c’était un travailleur ! Le travail…
Trois ans et quatre enfants plus tard, il a décidé qu’il partirait en France pour gagner plus d’argent, pour avoir plus de travail… Son frère il est mort d’avoir trop travaillé ! Il était cordonnier et maçon. Il s’est installé à Vienne, chez ma tante , et trois ans plus tard encore, je suis partie le rejoindre. Moi toute seule dans le wagon, maigre comme ça avec mes quatre enfants, j’ai cru que j’arriverais jamais… ce voyage c’était comme la fin du monde.
Les premiers temps c’était pire qu’en Italie. J’ai regretté de quitter l’Italie quand ça allait mal. J’ai regretté de venir en France. J’étais malheureuse comme une pierre. Je regrette toute ma vie. Je croyais trouver la brouette d’or en France, je croyais qu’il y avait l’Amérique ici, mais… En Italie on était mieux. Je suis restée italienne, on a tous les mêmes droits !
Je me suis coupé les cheveux en arrivant. On s’est installés dans un studio 1 pièce+ cuisine, à six ! Et puis après seulement, on a eu notre propre maison, près des hauts-fourneaux de Chasse. Les enfants allaient à l’école et ils étaient plutôt bons, on aurait pas dit que c’étaient des fils d’italiens. Il y avait des gens qui étaient jaloux parce qu’aucun de mes enfants n’était français. Aujourd’hui ils sont fiers de l’Italie, et ils sont fiers de moi aussi ! Moi aussi j’ai pris des cours de français, des cours du soir. Je m’étais fait quelques amis, là-bas, mais je ne sortais pas souvent parce que mon mari était jaloux comme tout. C’est parce que j’étais plus belle que lui ! J’ai toujours été coquette ! L’important pour pas avoir de rides, c’est de bien boire et de bien manger ! Haha ! Je faisais toujours des pâtes, quand je demandais à mes enfants ce qu’ils voulaient, ils me répondaient « Des pâtes, maman, des pâtes ! », je les faisais moi-même ! À la main, au début et puis après j’ai acheté une machine. Je l’ai donné à ma petite-fille, il y a pas longtemps… Je suis arrière-grand-mère ! Depuis trois jours ! Et bientôt, Romain aussi va avoir un bébé ! Il va se marier, è una bella cosa… Il faut se marier pour la vie de famille. Quand il a dit qu’il allait avoir un bébé, ça a été moi la première à y aller ! Avec des pâtes ! Mon mari il doit même pas le savoir : il est parti il y a trois ans pour draguer des filles, tu parles ! Moche comme il est ! Avant il était beau, mais il a mal vieilli. Il est parti, il a plus donné de nouvelles. Il regrette, hein. Parce que s’il essaie de revenir, moi, je l’accepterai pas ! Tu m’auras pas encore une fois, je ne suis pas italienne pour rien ! T’es parti, bah pars, ciao, arrivederci l’homme ! Faut pas se laisser faire. Faut tenir bon. Maintenant je veux plus d’homme. Un ça m’a suffit, 5 enfants… L’aîné, il était tellement gentil… il est mort d’un cancer mon garçon… Pourtant j’ai souffert pour lui, il voulait pas sortir, il pesait 4 kilos ! Après j’étais malade comme un chien.
Enfin… j’ai 80 ans, j’ai oublié beaucoup de choses, je regrette. Et je suis coincée là, en France. Mais je pourrais pas retourner là-bas ! Encore un voyage et ça me rendrait folle. Et puis j’ai mes enfants ici. J’ai toujours aimé mes enfants, l’amour de mes enfants c’est la plus belle chose que j’ai jamais eu. Pourtant le soleil de l’Italie ça me manque. La mer aussi, je suis née à Terramo entre Rome et l’Océan, j’y ai passé mon enfance au bord de l’eau, le vent les vagues le beau temps toute l’année et je jure sur la tête de mon fils décédé : y a rien de plus beau que la mer.