« Nonobstant… pourtant », un souvenir de Paul Verlaine.

 

C’est là [au siège du Figaro] que j’ai fait mes début en 1892 sous Magnard. Je signais « un jeune homme moderne » des petites moralités un peu là et des filets assez acerbes. Dans le même temps, Barrès, jeune homme, aussi gai et blagueur que moi, collaborait à l’illustre maison. Nous étions les chouchous de Magnard qui nous gardait dans son cabinet pendant que se morfondaient à l’étage au-dessous, orné du buste de Villemessant, les plus importants personnages. Un jour nous aperçûmes, à la caisse, Verlaine, avec sa bobine de satyre retraité – nous lui faisions une petite pension, à quelques-uns, – qui venait palper ses pépètes, pas bien nombreuses. Naturellement il était saoul et, levant en l’air un gros doigt sale, il riait et répétait d’un air malicieux, indescriptible : « nonobstant… pourtant. »

Léon Daudet, Paris vécu, 1929.

Paul Verlaine au café François Ier, au 69 boulevard Saint-Michel à Paris. C'est ici qu'il rencontra Oscar Wilde, alors en pleine effervescence mondaine. Si l'expérience ne se renouvela pas, le dandy anglais avoua quelques mois avant sa mort, alors qu'il était tombé dans la misère lui aussi: « Je suis un vagabond. Ce siècle aura eu deux vagabonds des Lettres: Verlaine et moi. »

Pour aller plus loin:

  • Je dois la connaissance de cette anecdote à la lecture d’un article de Jean-Paul Iommi-Amunatégui, « Pauvre Lélian »,  paru dans le n°2 (avril 2012) de l’excellent mensuel L’impossible dirigé par Michel Butel. Grâce leur soit rendue.
  • Verlaine intime, par Rémy de Gourmont (sur les dernières années de vie du poète).
  • Guy Goffette, Verlaine d’ardoise et de pluie, Paris, Gallimard, 1996.
  • La rubrique Sur la poésie.

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