(Deuxième partie)
Une violence comptable: entre sélection des victimes et représailles de masse
Pour capturer les chefs de la rébellion et désarmer les habitants, de véritables battues de chasse furent organisées, à très large échelle. Les populations étaient considérées comme complices a priori, tout homme armé ou rebelle supposé ou « indigène peu fiable » (infido) était susceptible d’être passé par les armes. La plupart des résistants furent exécutés lors de combats ou d’exécutions sommaires. Quelques procès collectifs devant des Tribunaux militaires furent aussi organisés, manière de sauver occasionnellement les apparences1.
Aveugle et destinée à terroriser les populations, la violence fut aussi ciblée. L’élimination des chefs rebelles et des notables relevaient de pratiques de guerre classiques dans un contexte colonial. La destruction d’une partie de l’Église copte, considérée comme soutien de la résistance éthiopienne procédait de mécanismes analogues auxquels s’ajoutait la volonté de détruire les fondements mêmes de la culture Ahmara. De très nombreux responsables religieux furent ainsi passés par les armes lors d’exécutions individuelles ou collectives. À la fin du mois de juillet 1936, une tentative d’attaque de la résistance éthiopienne contre Addis Abbeba avait été déjouée par l’armée italienne. L’abuna Petros, un évêque de l’Église copte, fut condamné à mort et exécuté par les carabiniers après un procès expéditif : la mise à mort eut lieu sur la place du marché mais les journalistes n’eurent pas le droit d’en faire état en Italie2. À la suite de l’attentat dirigé contre le Vice-Roi Graziani, le 19 février 1937, après une enquête expéditive, 449 moines, diacres et religieux du couvent de Debra Libanos –lieu symbolique s’il en fût pour l’Église éthiopienne- furent assassinés.
La violence poursuivit également une autre catégorie de population, suspecte a priori: les conteurs, sorciers et autres devins. Après l’attentat du 19 février, la police avait révélé que ces figures traditionnelles de la culture éthiopienne inquiétaient la population en diffusant des nouvelles catastrophiques telles que «destruction totale de la population par les Italiens», «retour proche du Négus à la tête d’une importante armée étrangère etc.». En bon fasciste, convaincu de l’importance de l’information et persuadé que les mots étaient assimilables à des actes, Graziani mit en œuvre une solution «totalitaire» de la question : « Convaincu de la nécessité de détruire totalement cette mauvaise herbe j’ai ordonné que tous les conteurs, devins et sorciers de la ville et des environs soient arrêtés et passés par les armes. Aujourd’hui, 70 ont été arrêtés et éliminés»3. Cette politique fut ensuite étendue au reste de l’Empire4 .
À partir du mois de mars 1937, Graziani adressa régulièrement au ministre Lessona des télégrammes-inventaires sur l’état de la répression, énumérant les Éthiopiens exécutés, les tuculs –habitations indigènes- détruits, les villages incendiés etc. Celui du 5 juin 1937, vaut pour les dizaines d’autres5 : « Journée du 2 mai. Sulultà- Mesure de rigueur contre onze indigènes délinquants. Lekempti : Journée du 25 : mesure de rigueur contre un indigène « peu fiable ». Journée du 27 : Debra Tabor : mesure de rigueur contre un bandit indigène. Journée du 29 : Addis Abeba ; Mesure de rigueur : cinq indigènes dont trois moines Debra libanos complices attentat ; deux délinquants ; Dessiè une délinquante. Journée du Trente : Debra Marcos. Mesure de rigueur un indigène sorcier. Journée du trente et un : Addis Abeba ; mesure de rigueur quatre indigènes dont deux détenteurs d’armes ; deux délinquants ; Debra Tabor deux brigands. Journée deux juin : Addis Abeba : mesure de rigueur deux détenteurs d’armes. Journée trois : Gondar. Mesure de rigueur un détenteur d’armes. Total au trois : 1468. Mille quatre cent soixante huit ». À chaque nouveau télégramme, le bilan intégrait de nouveaux chiffres d’exécutions : 1468, le 3 juin ; 1598 le 29 du même mois ; 1686 le 5 juillet tandis que le 25, le compteur était à 18786.
De télégrammes en télégrammes, l’annonce des « mesures de rigueur » révélait la satisfaction évidente d’avoir fait du chiffre. Les directives de répression incitaient à traiter la question sur un mode quantitatif. Comme ce télégramme adressé aux gouvernements d’Asmara, de Gondar et de Mogadiscio, dans le cadre de la campagne d’élimination des conteurs et devins: « Politique. Ermites. Devins, sorciers, conteurs qui créaient agitation ou au moins perplexité de la population de la capitale avec leurs stupides prophéties ont été en bonne partie éliminés. Les plus dangereux et écoutés passés par les armes. Les autres déportés. Le Gouvernorat de la ville a décidé l’interdiction de ces activités (…). Tandis que cette action d’épuration se poursuit à Addis Abeba, il est nécessaire qu’elle soit étendue (…) J’attends de connaître le nombre d’individus passés par les armes et internés. Accuser réception avec le mot « devin »7.
Du 28 mars au 21 juin, le Général Pietro Maletti dirigea les opérations militaires dans le nord-est du pays, mobilisant 11 bataillons de coloniaux, 3 groupes d’artillerie et plus de 5000 hommes de bandes. Son tableau de chasse était impressionnant: 15 078 indigènes tués au combat ou exécutés ; 56 865 tuculs brûlés8. Dans son rapport de campagne, hybride de rhétorique fasciste et de langue bureaucratique où liquidation ou solution (sistemazione) était souvent mis pour massacre, il se félicitait d’avoir « mis la région à feu et à sang »9. Responsable, sur ordre de Graziani, de l’exécution de 297 moines, 129 diacres du couvent de Debra Libanos et 23 « suspects » il concluait : « Cette manifestation romaine de rigueur inflexible et rapide a sûrement été opportune et salutaire. Les ennemis sont avertis. La foi des hésitants a été raffermie et les fidèles sont liés encore davantage liés à nous »10. Maletti tenait des comptes scrupuleux, à la manière de Graziani qui eut plusieurs fois l’occasion de le féliciter. Ainsi, après avoir infligé aux populations du Mens, une leçon « dure mais nécessaire » (2523 victimes, 3 églises et un couvent détruits, 15 422 habitations indigènes anéanties) il avait été félicité en ces termes : « La démonstration de votre énergie éclairée ne pouvait décevoir mon attente »11.
Une « éthique » de la terreur ?
Valorisée par le régime et encouragée en haut lieu, jusqu’à quel point la violence fut-elle assumée par ses acteurs? Le silence des Mémoires des combattants d’Afrique, rédigée pendant ou peu après la guerre d’Éthiopie apporte une première forme de réponse12. L’évocation gênée des pendaisons sur la place publique dessine les limites de la banalisation des violences extrêmes13. La possibilité que les souvenirs de guerre soient lus un jour par des civils étrangers à l’univers de violence induisait une forme d’autocensure, dans cette écriture de soi. Quand bien même, en Éthiopie, les soldats avaient intériorisé les normes fascistes de la guerre, ils étaient conscients qu’elles étaient susceptibles de déranger, voire de choquer en métropole ou ailleurs.
Ces réserves n’avaient plus lieu d’être dans les rapports d’opérations militaires et autres documents à usage interne. Enoncés performatifs, la revendication de la violence ayant valeur d’action politique, les rapports de campagne n’en informent pas moins sur son statut moyennant une attention à la structure du récit, aux mots employés et aux variations introduites dans l’usage de la langue de bois militaire et fasciste.
Le plus cynique d’entre-tous , Graziani, terminait son rapport-fleuve, bilan de son action à la tête de l’Empire, en revenant sur le massacre des moines de Debra Libanos : « Ce n’est pas forfanterie (millanteria) que de revendiquer la responsabilité complète de la terrible leçon donnée au clergé de l’Éthiopie avec la fermeture du couvent de Debra Libanos qui était considéré par tous comme invulnérable et les mesures de justice sommaire appliquées aux moines, suite aux preuves à charge qui étaient apparues. C’est pour moi un motif d’orgueil que d’avoir eu la force d’âme d’appliquer une mesure qui fit trembler tout le clergé, de l’Abuna, jusqu’au plus petit prêtre ou moine, qui comprirent à partir de là la nécessité de cesser toute hostilité à notre endroit s’ils ne voulaient pas être entièrement détruits »14. Tout en reconnaissant le caractère «terrible» de cet épisode, Graziani admettait pouvoir s’en glorifier – la précaution oratoire écartant une éventuelle forfanterie constituant une forme d’aveu. Concédant qu’il lui avait fallu de la «force d’âme», il revendiquait le massacre, in fine, comme un motif d’orgueil. En assumant pleinement un acte perçu comme effroyable, le général Graziani se comportait en vrai fasciste, en «homme nouveau». Pourtant, le besoin de se justifier indiquait que le «vieil homme» n’avait pas totalement disparu s’agissant de «violences extrêmes». En s’affranchissant du droit «commun» de la guerre, forgé par les conventions internationales de puis la fin du XIXe siècle, les généraux et officiers fascistes n’en éprouvaient pas moins la nécessité de mettre des mots sur leurs actes et de réinventer une norme légitimant les violences extrêmes.
Souvent, y compris chez Graziani, il suffit de l’invocation d’une «simple» logique de représailles. Niccolo Giani, fasciste fervent, officier de la milice justifiait en ces termes l’exécution des prisonniers de guerre : « Depuis le combat survenu il y a deux jours, l’ennemi tente d’arrêter notre marche nous frappant à l’arrière : illusion ! Camarades Sau, Cerrano, Braggion, nous ajoutons vos noms à la liste de ceux que nous devons venger ! Votre sang crie plus que jamais vengeance ! Oui, nous le savons, vous êtes morts à cause de notre générosité de blancs et de notre bon cœur de latins : les prisonniers que nous avons épargné hier, ont aujourd’hui racheté notre sentimentalisme et vos cadavres. Soyez sûrs que notre magnanimité ne nous conduira plus vers le remords de nouvelles veuves et orphelins »!15
Sous la plume de Pietro Maletti, plusieurs stratégies de légitimation des violences de guerre étaient à l’œuvre. Il tenait à mettre en valeur le versant « politique » de son action, affirmant user de la force et de la conciliation. Comme Nicolo Giani, il présentait la violence fasciste comme une réponse. Évoquant les mutilations des cadavres pratiqués par l’adversaire, Maletti écrivait « Je m’arrête sur ces détails par amour de la vérité ; ils démontrent d’un côté toute la haine des rebelles à notre égard et justifient, d’autre-part, les représailles inexorables que nous menons contre de tels adversaires »16 . La conséquence – une loi du talion implicite imposant qu’une vie perdue d’Italien se payait, au bas mot, par la destruction de cent vies d’Éthiopiens- était donnée comme implicite.
Ailleurs, le discours révélait l’absence de condamnation a priori de la violence. Comme dans le récit des opérations conduites à Nohari, en juin 1937 : « Quand j’arrivai à Nohari je vis, ici et là, des cadavres de rebelles atrocement mutilés par les bombardements aériens. Dans une petite vallée, au sud de Nohari, une centaine de cadavres (hommes, femmes et enfants) attestaient de la précision de notre bombardement qui avait surpris ce groupe de personnes en fuite ». L’horreur des corps en morceaux des civils « atrocement » mutilés, était mise à distance et interprétée comme preuve de l’efficience de l’aviation. L’ennemi entrait ensuite en scène : « Un avion, un CA 111 de la 17e escadrille, avait dû pour des raisons inconnues atterrir d’urgence dans le lit du fleuve Abadai (…) attaqué par une bande de rebelles et de paysans fut incendié. L’équipage, après s’être défendu héroïquement, fut sauvagement mis en morceaux. Je fis recueillir religieusement les restes mortels de ces valeureux combattants et leur procurai une sépulture dans le cimetière de Debra Brehan . Quant aux auteurs du massacre ils subirent notre action de représailles inexorables : les tués en conséquence de ce douloureux épisode furent plusieurs centaines. Tous les indigènes qui endossaient les habits des aviateurs furent passés par les armes. Tous les villages qui détenaient de morceaux de l’appareil furent rasés au sol et leur habitants exécutés.»17
Parfois, Maletti rapportait, sans autre commentaire, la politique de terreur pratiquée. Les pratiques de violence, les unes étalonnant les autres, semblaient trouver leur nécessité dans une économie interne de la terreur: « Le 3 juin, je mis à feu et à sang les vallées de Bersenà et du Derecuonzi en totalité et je détruisis le couvent de Zienà Marcos »18. Entretemps, informé des opérations militaires, Graziani, avait prodigué ses conseils de fermeté « Cher Maletti. Je suis avec attention et passion tes efforts pour débloquer la position de Noari. On sait, par expérience que les blocages sont toujours difficiles à réussir en Afrique. Quelle que soit l’évolution des causes, tes efforts seront couronnés de succès pour pénétrer dans le territoire d’Abébé Aregai et tu dois tout raser au sol et éliminer tous et tout. Seulement comme cela nous réussirons à mater la rébellion dans le Scioa. Bonne chance.»19. Après avoir achevé la conquête du Mored et du Marabétié, Maletti mit « à feu et à sang » la région détruisant plusieurs villages20. Son objectif était, suivant ses propres termes, de «compléter l’action punitive» déjà réalisée. Lors des opérations dites « de finition », étalées sur 4 jours, ses troupes avaient procédé à l’élimination de 668 indigènes et à la destruction de 4742 tuculs21.
Quelques rares responsables politiques ou militaires tentèrent de promouvoir des méthodes de guerre ou d’administration différentes et un autre rapport à la violence. En janvier 1938, le secrétaire fédéral du faisceau de Harrar avait affiché un manifeste -décalogue invitant les travailleurs italiens à « s’enlever de la tête qu’il faut toujours posséder un fusil ». Starace protesta contre une initiative qui allait à l’encontre de « l’indispensable esprit guerrier qui doit être une caractéristique de l’époque de Mussolini »22.
Le Général Guglielmo Nasi fut également rappelé à l’ordre23. Devant statuer sur le sort des prisonniers capturés lors des opérations dans le Bale, il proposait un traitement différencié: tribunal militaire pour 54 chefs rebelles ; déportation pour 160 personnes (chefs et notables « politiquement indésirables », prêtres, devins, sorciers ; 614 jeunes des bandes rebelles, robustes étaient proposés pour les travaux forcés, Nasi jugeant dangereux de les laisser en liberté. Il annonçait avoir remis en liberté 945 personnes, simples recrues, paysans enrôlés de force dans les bandes ou esclaves, en raison d’un âge avancé ou de mauvaises conditions physiques et deux milles femmes et enfants. À l’évidence, la conception de Nasi ne s’accordait pas avec celle de Graziani. Celui-ci ordonna l’exécution immédiate des 54 chefs rebelles ainsi que l’élimination, affaires cessantes, des sorciers et devins. Le télégramme se concluait en ces termes « Merci d’accuser réception par la parole « liquidation »24.
Giuseppe Pirzio Biroli, colonel de cavalerie de réserve, commandant de la 16e Brigade indigène, et frère du Général, représente sans doute un cas isolé dont la singularité même, par la volonté de se démarquer des autres officiers, est riche d’enseignements. Dans ses directives, visant à promouvoir une conception « humaniste » de la guerre, se donnent à lire, en miroir, les normes fascistes en matière de violence25.
Avant d’engager les opérations dans l’Ermaccio, le colonel recommanda à ses hommes de faire preuve de tact envers la population, estimant que la violence inutile créait un sentiment d’injustice qui favorisait la rébellion26 . Les officiers devaient expliquer à leurs troupes qu’ils n’allaient pas conduire une guerre mais une «action humanitaire de pacification». Avertissant que toute action de violence ou de rapine contre la population devait être punie, il précisait qu’en cas de violence contre les femmes, les officiers devaient eux-mêmes procéder à la suppression du coupable. Ses consignes étaient clairement rédigées pour réagir contre les pratiques établies : « Quelques tirs venus des rebelles, surtout si dépourvus de conséquences, ne pourront jamais justifier le déchaînement d’une réaction exagérée qui suscite la terreur au sein de la population. L’ordre de destruction de villages entiers d’indigènes ne pourra être donné que par moi-même. Ce genre de représailles n’augmente pas notre prestige, et finit toujours par frapper de nombreux innocents ». Il convenait, selon lui, de ne détruire que les tuculs d’où provenaient les tirs et de demander la permission d’entrer avant de perquisitionner les habitations. Les suspects devaient être « traités humainement » tandis que les hommes surpris les armes à la main ou qui tentaient de fuir devaient être «supprimés». Son code de bonne conduite se concluait ainsi :
« Les populations n’attendent du tricolore italien qu’un régime de justice au travail et de paix. Pour observer les dispositions supérieures avec justice et économie de moyens, les grandes lignes directrices sont les suivantes: Fer, feu, terreur pour les brigands, les rebelles et leurs chefs (…)« Humanité, justice éducation envers les populations qui, mises en confiance, nous aideront à vaincre rébellion et brigandage ». Ces consignes furent réitérées à plusieurs reprises.27
Les consignes données par Giuseppe Pirzio Biroli ne manquèrent pas de susciter commentaires ironiques et critiques féroces de la hiérarchie militaire28. Une enquête fut diligentée à la fin de l’année 1937, plusieurs officiers ayant dénoncé son action « délétère ». Les reproches de ses pairs portaient sur sa manière de conduire la guerre, sur son action comme Président du Tribunal de Guerre de Dessié où il avait osé « mettre sur un pied d’égalité » les indigènes et les nationaux. On lui reprochait aussi d’avoir imputé la révolte du Beghemeder à la politique de terreur et d’avoir osé déclarer publiquement que la vie d’un noir valait celle d’un blanc29. En définitive, « sa mentalité et ses méthodes » représentaient un grave danger »30 .
Pourtant, le colonel n’était pas un « tendre » et ne songeait nullement à remettre en cause le principe de la répression coloniale avec ce qu’elle supposait d’asymétrie face à la terreur. Ainsi, il présentait comme exemplaire l’action de la colonne Branca menée à la frontière sud de l’Istié dont le bilan n’était guère différent de la plupart des opérations de police coloniale : 400 rebelles tués pour 8 victimes italiennes. En insistant sur «l’importance capitale, dans les opérations politico-militaires, de la discipline et de l’attitude correcte des troupes envers la population», il agissait peut-être en humaniste mais surtout en politique31.
Le 10 décembre 1937, il adressa une longue note à ses officiers déplorant que ses directives n’aient pas été respectées dans la conduite des opérations de «pacification du Beghemeder»32. Les opérations de «ratissage» avaient été menées comme de véritables campagnes de guerre. Suivait l’inventaire des incendies, des violences non justifiés, des atteintes à la propriété et des razzias de bétail. Le colonel dénonçait, une fois encore des pratiques de guerre illégitimes, la violence servant un désir de gloire ou de promotion militaire. Giuseppe Pirzio Biroli répétait inlassablement: «Il ne peut y avoir d’action militaire en colonie qui ne soit, dans le même temps, une action politique».
Le problème était bien là, dans l’interprétation de la politique et dans l’ordre des priorités. Pour le pouvoir fasciste, la terreur n’était pas une dérive mais une façon de faire de la politique. Pour cela, la guerre d’Éthiopie n’était pas une guerre coloniale ordinaire. Georges Scelle était dans le vrai, lorsqu’en 1937, il voyait dans la guerre d’Éthiopie une « image de la guerre de demain».33
Version manuscrite du texte paru in Revue d’Histoire de la Shoah, n°189, Juillet-décembre 2008, p. 431-464. Titre original: « Violence coloniale, violence de guerre, violence totalitaire dans l’Éthiopie fasciste. »
Pour aller plus loin:
- La conquête de l’Éthiopie et le rêve d’une sexualité sur ordonnance, par Marie-Anne Matard-Bonucci.
- La guerre d’Éthiopie, un inconscient italien, par Olivier Favier. Sur le mausolée au maréchal Graziani à Affile (août 2012), la naissance d’une littérature italophone et postcoloniale et le documentaire de Luca Guadagnino, Inconscio italiano (2011). Voir aussi: L’Italie et ses crimes: un mausolée pour Graziani, par Olivier Favier.
- Mémoire littéraire, mémoire historique, entretien croisé avec Aldo Zargani et Marie-Anne Matard-Bonucci, par Olivier Favier.
- Le fascisme, Auschwitz et Berlusconi, par Marie-Anne Matard Bonucci, Le Monde, 11 février 2013. Marie-Anne Matard-Bonucci est professeure d’histoire contemporaine à Paris VIII, Institut Universitaire de France. Elle est également l’auteure deL’Italie fasciste et la persécution des juifs, Paris, Puf, 2012.
- M. Dominioni, « La ripressione di ribellismo. art. cit. », p. 21. [↩]
- C. Poggiali, op. cit., p. 78. Sur l’exécution, A. Del Boca, Gli Italiani , op. cit., p. 24-25. [↩]
- ACS, Carte Graziani, b. 31, télégramme 14 044. [↩]
- ACS, Carte Graziani, b. 31, telégramme 17588 A. Adressé aux gouvernements d’Asmara, Gondar, Mogadiscio. [↩]
- ACS , Carte Graziani, b. 26, télégramme 28 646 . [↩]
- ACS , Carte Graziani, b. 26. [↩]
- ACS, Carte Graziani, b. 31, telégramme 17588 A. Adressé aux gouvernements d’Asmara, Gondar, Mogadiscio. [↩]
- ACS, Carte Graziani, b. 31 : Rapport du 30 août 1937 sur l’activité opérationnelle et politique dans le secteur Nord-oriental du 28 mars au 30 juin 1937. Ce long rapport dactylographié comporte 83 pages. [↩]
- ACS, Carte Graziani, b. 31 [↩]
- ACS, Carte Graziani, b. 31, Rapport cit. [↩]
- Télégramme de Graziani cité in ACS, Carte Graziani, b. 31. [↩]
- N. Labanca, « La conquista e occpazione dell’Etiopia nelle memorie », op. cit. [↩]
- Ibid., p. 245. [↩]
- ACS, Carte Graziani, b. 31. [↩]
- Cité par N. Labanca, La conquista e l’occupazione cit., p. 303. Le même Nicolo Giani, fondateur de l’Ecole de mystique fasciste, se lança ensuite dans la campagne antisémite avec la même « foi fasciste ». Voir M.-A. Matard-Bonucci, L’Italie fasciste et la persécution des juifs, Perrin, 2007, p. 277-278. [↩]
- ACS, Carte Graziani, b. 31. Rapport cit., p. 21. [↩]
- ACS, Carte Graziani, b. 31.Rapport cit., p. 52-53. [↩]
- Ibid. p. 54. [↩]
- ACS, Carte Graziani, b. 30. Télégramme de Graziani a Maletti du 2 juin 1937. [↩]
- ACS, Carte Graziani, b. 31.Rapport cit , p. 76 [↩]
- Ibid. p. 77 [↩]
- Starace, au Fasciste Carlo Poggio, 8-2-1938, ACS, PNF, Sit. Pol. Prov., b. 3, Harrar. [↩]
- Sur ce personnage, G. Rochat, Le guerre …, op. cit., p. 91. A. Del Boca , op. cit. [↩]
- ACS, Carte Graziani, b. 31. Télégramme 6246 de Nasi à Graziani et réponse. [↩]
- On ne dispose par d’étude sur cet officier : voir la note de A. Del Boca, in Gli italiani cit., p. 116 [↩]
- ACS, Carte Graziani, b. 26. Document du 10 avril 1937 : « soumission, désarmement et pacification de l’Ermaccio », du Commandant de la XVIe Brigade indigène. [↩]
- Notamment le 22 avril 1937. [↩]
- Voir ACS, Carte Graziani, b. 35, et plus particulièrement le Promemoria du 26 juin 1937 établi par le commandement des carabiniers où la campagne de l’Ermaccio est qualifiée de « simple promenade ». [↩]
- ACS, Carte Graziani, b. 35. Rapport du Colonel commandant des carabiniers Angelo Cerica, s.d. [↩]
- ACS, Carte Graziani, b. 35. Rapport du Colonel commandant des carabiniers, Azolini Hazon, 14 décembre 1937. [↩]
- Carte Graziani, b.26.Rapport des opérations de soumission et de désarmement de l’Ermaccio, 15 avril-3 mai 1937, in Carte Graziani, b.26. [↩]
- ACS, Carte Graziani, b. 26. La note s’adressait aux commandants de 3 bataillons coloniaux, à un commandant de bande, au commandant d’un groupe d’artillerie et de cavalerie. [↩]
- Préface du livre de C. Rousseau, op. cit., p. VI. [↩]