Le baluchon de l’expatrié, par Nanos Valaoritis.

Pour Constantin N.

J’ai été blessé par les voix des Grecs
j’ai été blessé par les voix des sirènes
ils me suivent de leurs yeux vigilants
nuit et jour les Ulysses me hantent
avec leurs mensonges
les souvenirs me harcèlent
comme des vêtements suspendus à une corde
j’ai été blessé par le Nouveau Monde et l’ancien
ils ne m’ont pas donné de corde où étendre mes sentiments

Mes sentiments sont encore trempés
par ce temps pluvieux
je veux aller quelque part mais je ne sais où
depuis que je ne suis plus ni en Occident
ni en Orient. Devant moi le soleil
se lève et derrière moi se couche.
De quelle façon fus-je réduit ici à l’état de pourceau
dans l’île de Circé? Comment ai-je fini
par devenir Elpénor châtié
qui en tombant se brisa le crâne
dans le grenier de sa maison?

Avec l’Hermès -machine à écrire-
j’écris pour disperser les idées noires
tu arrives ici pour cueillir
les fruits de l’Eldorado
et la monnaie du temps te reste
à l’ouest du Colorado

Je suis un déplacé
sur l’épaule de l’autre continent
je fais des tours d’à peu près
cinq à dix mètres
et j’attends des lettres
pour traverser la vieillesse

J’ai une petite chienne
que j’ai nommée Litsa
qui est heureuse quand elle me voit
préparer ma valise
pour aller dans le Colorado
réciter des poèmes avec le poète Corrado

Ah maître, maître Constantin
qui boit qui boit toujours
et tu en as vu trente-six chandelles
je t’ai allumé une veilleuse
dans mon coeur

6/5/1983

Traduit du grec par Gérard Augustin. Extrait de Nanos Valaoritis, Anidéogrammes, Paris, L’Harmattan, 2007.

Voir aussi (sur rue 89): Valaoritis, le poète grec qui veut lancer Occupy Germany, par Olivier Favier.

Χάρυβδις (Charybde) 2011, par Nanos Valaoritis (tous droits réservés).

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