« La fin de juillet 1914 le rencontre en Bretagne. Masereel va retrouver sa famille en Belgique. Le cataclysme, la furieuse ruée des machines sont à l’instant d’emporter avec eux l’artiste. La veille de l’entrée des troupes allemandes à Gand, il s’esquive vers Dunkerque, à pied, puis en bateau. Évasion point seulement matérielle, mais spirituelle! Point seulement fugue opportune, mais éloignement profond, mais horreur!
Un an plus tard, Masereel s’installe à Genève. Devant les forces destructrices que les camps opposés lâchent à l’envi sur le monde, il est de ceux qui se refusent à toute complicité. Au nom de l’esprit, au nom de la beauté de l’univers et de la dignité des êtres, durant les plus noirs moments de la guerre il dressera contre elle, l’un des premiers, le refus de son corps et de son âme. Malgré les haines et la misère qui s’acharnent contre l’exilé, tous les jours, dans La Feuille, il affirmera la barbarie de la destruction, la stupidité des hommes, le mensonge des mots. En 1918, il publie 25 Images de la Passion d’un Homme, sa première grande suite de gravures sur bois. L’adversité, l’injustice, frappant de plein fouet sa conscience, ont suscité la première oeuvre. De ce terrible début, le talent de Masereel gardera la fougue, l’âpreté, la générosité aussi. Dons amers du désastre et du malheur! »
Luc Durtain