A comme Srebrenica (Philippe Morillon), par Roberta Biagiarelli et Simona Gonella.

 

Deux mois plus tard, voici qu’entre en scène celui qui allait devenir le héros de Srebrenica pour les téléspectateurs du monde entier  : le général Philippe Morillon Je n’ai pas senti l’odeur de la mort.
La première fois que Morillon entre à Srebrenica il est accompagné de dix casques bleus. Il visite la ville, il regarde autour de lui, bel endroit de merde, les gars -langage de caserne- il parle avec les gens, il est aimable.
Puis il rejoint Cerska et, pendant que les obus serbes sèment l’épouvante autour de lui, il dit :
Vous êtes sauvés.
Un ange était arrivé.
Un ange avec le casque bleu pour les sauver.
Ils le crurent.
Mais bon ! Qui ne croit pas aux anges ?

Il faut partir, il faut quitter Cerska. Il faut aller à Srebrenica.
Mais il n’y a pas déjà 40 000 personnes à Srebrenica ?
Mais là, ils trouveront protection. Une ville, une cité, un lieu civilisé, un toit au dessus de la tête, une protection.
Partir, partir de Cerska. La quitter.
Mais… c’était la purification ethnique. Il y avait déjà Mladic pour y penser !
Partir, partir en laissant tout derrière soi, en perdant son nom mais en sauvant sa peau.
Purification ethnique en version douce. Elle était très dure en fait.
Les Serbes bombardent les colonnes de civils qui de Cerska se déplacent à Srebrenica.
Des centaines de personnes sont taillées en pièces.
Et puis ils disent que c’était la faute des morts qui ont marché sur des champs de mines.

Morillon quitte Cerska et va à Sarajevo. Là il déclare :
Je n’ai pas senti l’odeur de la mort.
Pourtant je vous dis qu’ils en ont taillé en pièces des centaines, qu’il y a des centaines de corps là-bas. Peut-être qu’ils ne puaient pas.
Et moi je vous dis que je n’ai pas senti l’odeur de la mort.
Morillon essaie de corriger le tir.
En fait, je voulais dire qu’à Cerska il n’y avait pas eu de massacres gratuits.
Ah, pas de massacres gratuits.

Le 11 mars, les Serbes permettent au général Morillon d’entrer à Srebrenica avec un convoi d’aides humanitaires. Pour quarante mille personnes ! C’est mieux que rien !
Il fait froid et il y a de la neige. Morillon arrive en pleine nuit dans son transport blindé. Il voit encore les colonnes de réfugiés qui, sur son conseil, s’avancent vers Srebrenica; il voit les enfants mourir dans ce froid glacial -moins vingt degrés- et il frissonne dans la chaleur de son blouson militaire.
Misère, misère noire.
Ceux qui arrivent de dehors étaient un miroir pour ceux qui les accueillaient.
Morillon voit toute cette misère et il a peur.

Je reviens tout de suite.
Toi, tu ne bouges pas d’ici si tu ne fais rien pour nous.
Des aides humanitaires bien sûr.
Toi, tu ne bouges pas d’ici.
Mais je reviens, je vous apporte des renforts.
Toi, tu ne bouges pas d’ici.
Mais je te dis que je reviens.
Toi, tu ne bouges pas d’ici.
Calmez-vous, calmez-vous, réfléchissons.
Il était entouré par des femmes qui criaient et qui pleuraient, l’une d’elles crachait, elle ne disait pas un mot, elle crachait et c’était tout, quelques uns étaient allés se jeter sous les roues des transports blindés pour qu’ils ne puissent pas sortir de la ville.
Pourquoi le monde n’a-t-il pas honte ? Tu sens maintenant, hein ? Tu as du mal à respirer, Général ? Tu veux rentrer chez toi ? Toi, pourquoi tu peux rentrer chez toi, moi ça fait deux mois que je ne suis pas rentré chez moi. Dis-moi maintenant général qu’est-ce qu’on ressent quand on est assiégé ? C’est quoi la mauvaise odeur que tu sens, maintenant ?
Le héros de Srebrenica se glisse dans l’hôtel des postes avec l’air de quelqu’un qui a des choses urgentes à expédier, il choisit quelqu’un au hasard, met de l’argent dans sa main :
Déshabille-toi ! Ici ? J’ai dit déshabille-toi ! Mais ici ? Je n’ai pas de temps à perdre. Je suis un général !
Le pauvre bougre se déshabille, Morillon se déguise et se prépare à sortir en vêtements civils à l’arrière de l’hôtel des postes de Srebrenica. Pauvre général ! Les femmes le reconnaissent aussitôt, (les femmes sont stupides on le sait…) le saisissent, le soulèvent et le ramènent à l’intérieur du bâtiment. Toi tu ne bouges pas d’ici. C’est clair  ! ? !
Le général passe toute la nuit à penser -quarante cigares- toute la nuit à penser Mais comment je vais faire putain pour sortir de cette situation de merde dans laquelle je me suis fourré… langage de caserne ! En pleine nuit il lui vient une idée :
Oh, mais tu as un drapeau de l’ONU ! Je leur fais une promesse. Pas un truc du genre je reviens tout de suite. Une promesse avec quelques grands mots à l’intérieur, genre… ONU, justement. Puisqu’ils y croient tellement !
Le 12 mars au matin sur le balcon de l’Hôtel des Postes flotte le drapeau de l’ONU.
Il n’y était pas allé de main morte le Général Philippe Morillon.
Il avait changé en une nuit la politique mondiale de l’ONU, le principe d’impartialité, selon lequel l’ONU ne se range aux côtés d’aucun des partis en cause.
Il avait promis à une île musulmane au milieu d’un océan de Serbes que les troupes de l’ONU la protégerait.
À compter de ce jour, Srebrenica est sous protection de l’ONU.

C’est grâce à cette promesse que le général réussit à quitter la ville.
Alors qu’il est sur le point de sortir, une épouvantable cohue se forme autour de lui.
La foule demande à sortir avec lui, qu’il les emmène loin de l’enfer. Mais vous êtes pires que des tiques !
Il se laisse convaincre finalement et il quitte Srebrenica avec des blessés, des femmes et des enfants. L’image fait le tour des journaux télévisés du monde entier, un ange au casque bleu à la tête d’une caravane de six cents pauvres diables qui s’enfuient de l’enfer.
M comme Morillon devient T comme Tonton Philippe.
S’il vous plaît général… regardez là, vers la caméra. Général, général, accordez-nous des interviews, voulez-vous dire quelque chose au monde, Général, y a-t-il une odeur de mort aujourd’hui à Srebrenica ?
Au revoir, tonton Philippe.

Traduit par Olivier Favier.

 

Un corps exhumé en 1996. Les mains liées dans le dos et les yeux bandés témoignent d'une exécution sommaire. Photo: ICTY.

 

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