Italie-Brésil 3 à 2 (Extrait 3: Paolo Rossi), par Davide Enia.

 

… Et sur la surface de réparation du Brésil, malheureusement, il y a seulement des joueurs brésiliens…

quand

soudain

de nulle part

de derrière les épaules d’un défenseur brésilien qui s’appelle Oscar
apparaît un maillot bleu avec à l’intérieur un joueur maigrissime
numéro 20 sur le dos
il s’appelle :
Paolorrossi né à Prato

il bondit dans le ciel et prend la balle du front la balle change de direction et s’enfonce vers les cages du gardien du Brésil Valdin Perez qui ne comprend rien mais plonge quand même mais ni sa main ni son bras ne la touche et la balle vient se fourrer dans le filet et c’est le

BUUUUUUUUUUUUUUUUUUUUUUUUUUUUUUUUUUUUUUUUUUUUUUUUUUUUT !

Italie Brésil 1-0

Paolorrossi ! ! !

Chez moi…
on s’attrape tous les uns les autres… on se prend dans les bras… on s’embrasse… sauf mon oncle Peppe : à cause des vêtement mal lavés… et tandis que nous sommes tous les uns sur les autres, mon oncle Peppe : l’homme lucide par excellence, dit : « Regardez le Brésil a repris la partie… »

« Mais il faut battre le Brésil ! », et nous reprenons nos places et notre rôle dans le rituel… cigarettes insipides… têtes caressées… petites tasses de café… « 39 minutes à la fin de la première mi-temps ! » … et pourtant on est trop forts nous : imbattables… une grande équipe l’Italie… personne n’en doute… et notre joie monte, monte… et elle arrive au moment suprême : l’orgasme… que seul le silence peut contempler… silence qui dure une fraction de seconde parce que : Vincenzo Filippone se jette à genoux avec sa tasse pleine de café et crie :

« C’est nous le Brésil ! ! ! »

…et c’est vrai, c’est nous le Brésil : Italie Brésil 1– 0. Paolorrossi.

Paolorrossi

Paolorrossi… celui des « tu ne redeviendras jamais plus le joueur de foot que tu étais autrefois »… des « rentre chez toi »… des « tu es la honte de l’Italie »…

Paolorrossi… celui qui en 232 minutes change tout.
De la cinquième minute d’Italie-Brésil à la cinquante-septième d’Allemagne-Italie, Paolorrossi né à Prato marque 6 buts consécutifs :

3 contre le Brésil

2 contre la Pologne, en demi-finale

1 dans la grande finale contre l’Allemagne de l’Ouest, le premier

en changeant de fait l’histoire de la compétition mondiale
en changeant l’histoire de l’équipe nationale italienne de football qui depuis 1938 n’avait pas remporté le titre déjà cité
en changeant l’histoire de l’Italie qui se trouve unifiée dans la plus grande fête populaire dans les rues d’Aoste jusqu’à Palerme depuis l’époque de la Libération du nazifascisme
en changeant son histoire professionnelle, en remportant le titre de meilleur buteur de la compétition mondiale et en étant élu cette année-là meilleur joueur du monde
et en changeant, par dessus tout, son parcours d’homme, lui qui était sali par la merde qu’on déversait quotidiennement sur lui, voilà qu’il arrivait à la béatification de son vivant pour les miracles accomplis sur le terrain de jeu.

Paolorrossi : quelqu’un qui ne sait pas lancer la balle à droite. À gauche non plus. Frapper de la tête n’est pas son fort. Dévier la balle au bond ? Même pas la peine d’en parler. Il ne joue ni les coups francs ni les pénaltys.
Durant la partie, Paolorrossi, c’est un peu comme s’il n’était pas là.
Comme s’il n’existait pas plutôt.
Voilà. Comme s’il n’existait pas.
Mais comment quelqu’un qui n’existe pas peut-il marquer un but ?

Mais Paolorrossi n’était pas un joueur de football.

Paolorrossi était un roman.
 
Extrait de Davide Enia, Italia-Brasile 3 a 2, Palermo, Sellerio, 2010 (prima edizione da Ubulibri nel 2004). Traduit par Olivier Favier.
 
Pour aller plus loin:

Et en vidéo:

  • Le but de Fabio Capello dans le match Italie-Angleterre revisité par Nino Manfredi dans Pane e cioccolata de Franco Brusati (Italie – 1973). Version originale non sous-titrée.


 

  • Une homonymie étrange associe Socrates, le capitaine de l’équipe du Brésil dans ce quart de final Italie-Brésil de 1982, à celui d’une équipe grecque victorieusement confrontée à la formation allemande, pour la finale philosophique de 1972.


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