à Monsieur Philippe Saurel
Président de la Communauté d’agglomération de Montpellier
Le 16 mai 2014
Monsieur le Président,
Chercheurs impliqués bénévolement dans la réalisation du musée sur l’histoire de la France et de l’Algérie, nous avons appris avec une très grande surprise votre intention d’abandonner ce projet très avancé à un an de l’ouverture du musée. Ceci s’est fait de manière abrupte et improvisée, sans dresser un bilan du projet avec l’équipe qui le menait avec dynamisme depuis trois ans, et sans concertation avec le Conseil scientifique du musée, composé de chercheurs qui s’étaient mobilisés pour soutenir sa réorientation, redonner au projet la légitimité scientifique qu’il méritait, et qui ont joué un rôle considérable dans la préparation des salles du musée et des expositions temporaires. En tant que membres de ce Comité, nous déplorons le gâchis que représenterait l’abandon de ce projet de musée sans équivalent en France.
Gâchis intellectuel tout d’abord : tout un travail a été fait depuis plus de deux ans pour élargir la problématique initiale du musée, limitée à un cadre mémoriel étroit, et lui donner une ampleur susceptible de toucher toutes les mémoires associées à l’histoire des relations entre l’Algérie et la France. Le projet réalisé et largement avancé à ce jour présente les qualités de rigueur scientifique, d’innovation et d’ouverture requises pour une présentation publique et dynamique de l’histoire contemporaine, apte à dépasser les débats mémoriels qui travaillent notre société. Sur le modèle de l’exposition réalisée en 2012 sur l’Algérie au musée des Invalides, où l’Armée avait su donner carte blanche aux historiens, le travail engagé par les chercheurs à Montpellier présente un intérêt pédagogique évident. L’histoire de la colonisation et de la décolonisation est abordée en classes de 4e, 3e, 1re et terminale et les programmes encouragent les études de cas centrées sur l’Algérie. Le musée projeté peut servir de support à cet enseignement avec des visites de collégiens et de lycéens venus de toute la France. C’est un outil propre à comprendre le passé en dépassant des mémoires familiales parfois antagonistes.
Gâchis financier aussi : 15 millions d’euros sur les 22 budgétisés ont déjà été engagés. Certains ne sont pas transférables, comme les 3 millions qui ont servi à enrichir les collections de tableaux, d’objets et de livres sur l’Algérie ou les contrats passés avec les prestataires de services qui travaillent depuis des mois sur le contenu des expositions.
Quant aux investissements immobiliers et mobiliers, ils ne pourraient, en cas de changement de destination du musée, être « réversibles » sans d’importantes pertes et dédommagements aux entrepreneurs, se chiffrant par millions d’euros.
Gâchis politique enfin : le fait pour Montpellier d’accueillir un musée consacré aux relations avec l’autre rive ne peut que renforcer son positionnement méditerranéen. Il sert aussi la politique de coopération transnationale de la ville, qui a pris l’initiative il y a quelques années d’un jumelage exemplaire avec Tlemcen. Surtout, cet ambitieux projet peut participer utilement à l’échelle nationale à un processus de réconciliation francoalgérien qui est aujourd’hui bien engagé. Que Montpellier y figure au premier plan est évidemment profitable à la ville.
Compte-tenu de toutes ces considérations, nous ne pouvons que dénoncer une décision élaborée sans aucune concertation avec les acteurs du projet ni respect pour leur travail, et vous presser de bien vouloir réexaminer ce dossier sur la base d’une information plus éclairée. Nous sommes bien sûr à votre disposition pour vous présenter l’état d’avancement réel d’un projet qui ne peut que servir les intérêts et l’image nationale et internationale de Montpellier et de son agglomération.
Nous vous prions de croire, Monsieur le Président, à l’expression de nos sentiments respectueux.
Signataires :
Jean-Robert Henry, directeur de recherches émérite au CNRS, président du conseil scientifique du musée
Jean-Pierre Bertin-Maghit, professeur des Universités, membre de l’IUF
Pierre Boutan, maître de conférences honoraire
Omar Carlier, professeur émérite des Universités
Dominique Casajus, directeur d’études à l’EHESS
Sébastien Denis, maître de conférences à Aix Marseille Université
Ahmed Djebbar, professeur émérite des Universités
Marc Ferro, historien, co-directeur des Annales et directeur d’études à l’EHESS « désolé de cet affront à l’intérêt national »
Didier Guignard, chargé de recherches au CNRS
Nadjet Khadda, professeure à l’Université d’Alger
Ahmed Mahiou, directeur de recherches émérite au CNRS
Georges Morin, inspecteur général honoraire de l’Éducation nationale
Paul Pandolfi, professeur des Universités
Michel Pierre, historien, ancien conseiller culturel auprès de l’Ambassade de France à Alger
François Pouillon, directeur d’études à l’EHESS
Tramor Quemeneur, enseignant-chercheur à l’Université Paris 8
Paul Siblot, professeur des Universités
Benjamin Stora, professeur des Universités
Sylvie Thénault, directrice de recherches au CNRS