Nous ne savons que trop bien, par Olivier Favier.

 
Nous ne savons que trop bien que, lorsqu’une manifestation n’est ni interdite ni déviée au dernier moment, qu’elle ne fait pas le choix d’un itinéraire à risques, on n’y relève en général aucun débordement.

Nous ne savons que trop bien que les quelques éléments qui chercheront dès lors à tirer partie de l’occasion pour provoquer des heurts quitteront les lieux dès qu’un simple cordon de manifestants se sera interposé entre la police et eux.

Nous ne savons que trop bien que, dans ce cas précisément, la plupart des médias ne trouveront rien à en dire sur le fond, un fond auquel ils ne veulent ou ne peuvent pas penser, qu’ils évoqueront à peine les 25 000 personnes présentes en cette journée d’été.

Nous ne savons que trop bien que, malgré le calme, tout n’était pas louable dans les mots d’ordre entendus hier, mais que correctement encadré, nul ne fut autorisé à dépasser les limites.

Nous ne savons que trop bien, comme le criaient les militants de Lutte Ouvrière, que « travailleurs d’Israël, Palestine et ailleurs… » par exemple…

Nous ne savons que trop bien, pour autant, que le racisme n’est pas soluble dans la lutte des classes, comme tendent à le faire croire certains équivalents gauchistes de Bernard-Henri Lévy, lesquels, tout comme lui, ne doivent leur carrière éditoriale, littéraire et médiatique, qu’à un porte-monnaie bien rempli et à la chance d’être bien nés.

Nous ne savons que trop bien que la gauche se meurt aussi de ceux-là.

Nous ne savons que trop bien que le communautarisme1 est comme le fascisme, une idéologie de guerre, et qu’il n’est pas soluble dans le capitalisme, même s’il peut le servir, le cas échéant. Et que se servir de lui ressemble à jouer avec le feu.

Nous ne savons que trop bien qu’il fait son miel de ceux qui, par exemple, ont interdit le foulard à l’école, selon les principes « intangibles » d’une République laïque qui en son temps prépara fort bien la guerre, au nom d’un nationalisme qui n’est jamais qu’un communautarisme élargi.

Nous ne savons que trop bien que le choix d’une manifestation pacifique est aujourd’hui plus encore celui du pouvoir que des manifestants et de leurs services d’ordre. On peut le déplorer bien sûr, mais le nier est une faute politique, depuis Gênes, en juillet 2001.

Nous ne savons que trop bien que la formation politique, qui manque si cruellement aux générations nées après le début des années 70, devrait aussi partir de là.

Nous ne savons que trop bien qu’une manifestation invitée à déborder, et qui ne déborderait pas, ou déborderait avec méthode, selon des mots d’ordre et des objectifs précis, en partie tout au moins, gênerait considérablement le pouvoir.

Nous ne savons que trop bien, par exemple, que les provocateurs du « camp adverse » ont besoin d’ennemis pour exister, et du soutien de la police pour mener à bien leur projet.

Nous ne savons que trop bien, par exemple, qu’hier 23 juillet 2014, ils n’ont pu faire qu’une brève apparition, car il était prévu que cette manifestation-là se déroulerait dans le calme.

« Nous ne savons que trop bien, comme le disait Nelson Mandela en 1997, que notre liberté est incomplète sans celle des Palestiniens, sans la résolution des conflits au Timor, au Soudan et dans d’autres parties du monde. »

Nous ne savons que trop bien, disait-il encore, qu’ « il faut choisir la paix plutôt que la confrontation, sauf dans les cas où nous ne pouvons rien obtenir, ou nous ne pouvons pas continuer, ou nous ne pouvons pas aller de l’avant. Si la seule solution est la violence, alors nous utiliserons la violence. »

 

Manifestation pour Gaza du 23 juillet 2014  © Olivier Favier. Reproduction non autorisée.

Manifestation pour Gaza du 23 juillet 2014 © Olivier Favier. Reproduction non autorisée.

Manifestation pour Gaza du 23 juillet 2014  © Olivier Favier. Reproduction non autorisée.

Manifestation pour Gaza du 23 juillet 2014 © Olivier Favier. Reproduction non autorisée.

Manifestation pour Gaza du 23 juillet 2014  © Olivier Favier. Reproduction non autorisée.

Manifestation pour Gaza du 23 juillet 2014 © Olivier Favier. Reproduction non autorisée.

Pour aller plus loin: 

« Le mot de « communautarisme », désormais entré récemment dans la langue française, est une traduction du concept anglo-saxon de « communitarian » qui, conformément au modèle politique américain ou anglais, assume – non sans difficultés- une coexistence de différentes « communautés » au sein d’un modèle politique fédérateur. En France, le terme de « communautarisme » a d’abord été utilisé comme outil de disqualification des mobilisations minoritaires (Gay et lesbiennes, immigrés) vues comme des atteintes à l’Universel Républicain, lequel n’accepte pas la constitution d’entités autonomes et potentiellement séditieuses. Dans les années 1990, il s’est teinté, dans les discours politiques, d’un caractère religieux et a ciblé plus précisément les populations musulmanes supposées former une « communauté » à l’intérieur de la république, laquelle « communauté » serait favorisée par leur propension à se concentrer spatialement. Désormais, l’expression qualifie une surdétermination des critères identitaires de groupe (majoritaire et/ou minoritaire) au sein de la société française. »

Comme on l’aura compris, ce n’est pas dans les deux premiers sens que j’emploie ce mot, mais bien dans celui d’une « surdétermination des critères identitaires ».

  1. Je reprends la définition du Larousse: « Tendance du multiculturalisme américain qui met l’accent sur la fonction sociale des organisations communautaires (ethniques, religieuses, sexuelles, etc.). » Le communautarisme, tel que je l’entends, est donc un dévoiement du multiculturalisme au sens large, de la défense de la diversité culturelle, sexuelle, religieuse etc. au profit d’une exception sociale, juridique et politique, qui « devient une fusion entre une communauté et ses mythes ». []

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