Puisque le budget passe, vous êtes sans doute curieux de savoir où il va. Eh bien, venez vous placer sous le verdoyant berceau de tilleuls qui ombrage la terrasse des Feuillants ; et là, tout en respirant l’air mêlé de poussière que vous envoie la rue de Rivoli, arrêtez vos regards sur cette large façade d’un seul morceau, percée par le bas de quarante-sept arcades, où sont échelonnés cinq étages de croisées ; et mesurez encore, par les deux rues qui l’encadrent, la profondeur de ce bâtiment, uniforme et serré comme une caserne, épais et massif comme une prison. Si vous êtes spéculateur en terrains, gros marchand retiré du commerce, ou entrepreneur de maçonnerie, vous serez émerveillé de ce qu’un pareil édifice pourrait rapporter de location, dans le quartier des hôtels garnis, avec une exposition et une vue qu’on saurait bien faire payer. Si vous avez la prétention d’être savant, je vous apprendrai qu’à cette place s’étendaient autrefois, depuis la rue Saint-Honoré, de vastes jardins appartenant à une communauté de capucins qui avaient une porte de communication jusques dans l’enclos royal ; et, pour peu que vous soyez en veine de gaîté, il y aura beaucoup à rire sur le caprice du temps et des révolutions, qui est venu inscrire les noms des champs de bataille à l’angle de ces allées où des moines promenaient leurs rêveries. Que si vous êtes simplement artiste, je ne dis pas architecte, obligé par métier de couper et de poser l’une sur l’autre dans un espace donné, le plus grand nombre possible de cages à nicher des hommes ; si vous avez, je veux dire, le plus faible sentiment des convenances, des formes et des proportions qui doivent se trouver dans un édifice destiné à un usage public, vous comprendrez difficilement pourquoi je vous oblige de faire halte en face de cette grande maison. Mais si vous êtes créancier de l’état, pensionné de l’état, salarié de l’état, saluez d’un air gracieux l’hôtel où l’on paie ; vous êtes devant le ministère des finances1.
Car le budget est là refermé tout entier. Du rez-de-chaussée jusqu’aux combles, la machine aux calculs, montée pour toute une année, fait mouvoir des milliers de mains armées de plumes qui enregistrent les revenus et expédient la dépense. Là, l’impôt arrive par tous ses canaux et s’écoule par toutes ses issues. Le cœur n’a pas une fonction plus importante dans l’économie du corps humain que cette masse de bâtiments n’en exerce dans le mouvement social. En effet, la centralisation s’y est en quelque sorte concentrée. Paris était trop grand, ses différents quartiers trop éloignés l’un de l’autre pour l’action financière du royaume. Elle perdait du temps à ramasser ses bordereaux épars dans cinq ou six succursales où se logeaient commodément ses délégués. Elle a mieux aimé se gêner, se mettre à l’étroit, pour avoir tous les matériaux sous la main, tous ses ressorts sous les yeux, tout son personnel à portée du commandement, de la surveillance et du blâme. Enregistrement, domaines, douanes, forêts, loterie, contributions indirectes, toutes ces dépendances du revenu public qui se donnaient les airs d’administrations souveraines, ont repris leur place subalterne, au grand chagrin des directeurs-généraux qui n’ont plus de logement pour leur famille, et des premiers commis qui ont vu leur importance reléguée dans les mansardes. Si la Poste et la Monnaie tenaient moins de place, on les aurait amenées ici ; mais leur comptabilité s’y trouve. Par ce moyen, on voit tout d’un seul regard ; rien ne se dérange, rien ne se perd, rien ne s’égare ; excepté, par-ci par-là, quelques caissiers qui disparaissent en emportant les écus de la caisse ; mais les chiffres restent, c’est un grand point ; et, après plusieurs mois de recherches, on sait à peu près à combien peut se monter un déficit.
Ce bâtiment a, comme toutes les hôtelleries ministérielles, ses habitants inamovibles et ses hôtes passagers. Là aussi c’est en descendant les degrés de la hiérarchie administrative que vous trouverez quelque solidité dans les existences, quelque certitude de vieillir dans le logis où l’on s’est habitué. L’instabilité et le péril sont au sommet. Je ne sais combien de ministres a déjà vus passer le portier ; car on ne dit plus le suisse, par respect pour la victoire de juillet2. Cependant les figures nouvelles se présentent ici moins qu’ailleurs. On parvient rarement à ce ministère ; le plus souvent on y revient. Toute la science financière de notre époque paraît reposer exclusivement sur trois ou quatre têtes, entre lesquelles les changements de système politique et les révolutions sont obligées de choisir. On ne voit pas là, comme ailleurs, arriver un matin en citadine quelque promu de la veille, inconnu même aux garçons de bureau, dont les commis ne prononcent le nom qu’en hésitant, quelque homme de néant, improvisé homme d’état par l’adroite jalousie d’un collègue, qui vient débarquer au beau milieu de la voûte avec femme, enfants et paquets, le chapeau et le parapluie à la main, pour prendre possession de son département. Ceux qui montent à ce premier étage sont presque toujours de vieux routiers, accoutumés à la faveur comme à la disgrâce, qui connaissent les êtres de la maison, qui en savent par cœur toute la distribution : les salons d’apparat autrefois si peuplés, la salle à manger des grands festins, maintenant, dit-on, sans danger pour la conscience des députés, l’élégant boudoir qui attend toujours une jeune femme de ministre, et ces petits appartements où la puissance fait des économies en famille depuis qu’on a rogné son traitement.
Le reste de l’hôtel appartient aux bureaux. Or, on vous a déjà, sans doute, appris la vie maussade, uniforme, et pourtant aventureuse de l’employé qui, pour un modique salaire, vient chaque jour, à la même heure, courber son corps, fatiguer sa main, et anéantir sa pensée sur un travail ingrat, dont le résultat lui échappe ; passe à ce métier plusieurs années dans l’espoir d’une augmentation, et perd à la fin son gagne-pain par une réforme. On vous a fait parcourir plus d’une fois toute l’échelle de cette population cloîtrée, soumise à des règles invariables, à des devoirs sévères, mais qui s’élargissent pourtant et deviennent plus faciles, par une singulière proportion, à mesure que les profits s’accroissent. N’allez pas vous aviser cependant de plaindre les hommes enrôlés dans un pareil service ; car ce sont les heureux du siècle, et n’entre pas là qui veut. Si vous saviez combien il faut de protections, de démarches, de sollicitations, pour obtenir une de ces chaises couvertes en cuir où s’endort un commis, en attendant qu’il lui vienne l’inspiration d’un chiffre à placer ou d’un bordereau à remplir ! Combien de jeunes prétendants, tout frais sortis de leurs études, ou rebutés par les premiers dégoûts d’une carrière difficile, réclament, avec toutes les recommandations de leur parenté, l’agréable emploi d’additionner, de formuler et de transcrire pour le compte du gouvernement ! C’est qu’il y a du moins ici quelque chose de réel et d’assuré, un petit bénéfice, sans autre charge qu’un peu de résidence, et dont on touche le revenu à la fin du mois ; c’est que les professions où l’on se pousse par le talent sont toutes encombrées de célébrités en titre qui ne veulent pas déguerpir, et de bruyantes ambitions qui essaient de se faire passage ; c’est que les charges qui s’achètent sont en petit nombre et hors de prix : c’est que les capacités abondent et que les débouchés manquent, qu’il y a mille vocations et mille appétits pour une seule part de réputation et de fortune. De là cette affluence qui se presse aux portes des ministères, qui sollicite la faveur insigne d’y perdre son temps sur un pupitre, d’y éteindre sa jeunesse dans l’attente presque toujours trompée d’un tardif avancement. Car ce n’est pas par cette voie qu’on arrive aux postes élevés de la bureaucratie, aux canonicats administratifs. Le chemin est trop long, trop embarrassé ; mais on y parvient de plein saut en partant d’un journal ou d’une coterie. De deux concurrents pour une place subalterne, le plus certain d’être un jour chef de division n’est pas celui qui se voit admis à prendre ses degrés. Il y a plus à parier peut-être en faveur du candidat éconduit, pour peu qu’il ait de l’audace, de l’activité, de l’entregent. C’est absolument comme à la queue des spectacles, si tant est qu’il y ait encore queue aux spectacles. Ceux qui marchent à leur tour n’entre pas ; et les premières places sont pour ceux qui s’y précipitent, qui bousculent les gendarmes et escaladent les barrières.
De tout cela il résulte que l’ordre des employés a perdu ces anciennes mœurs, ces croyances traditionnelles, ces façons de vivre qui le faisaient reconnaître autrefois. Le commis n’est plus ce pauvre diable si exact, si ponctuel, si empesé, si discret, qui avait foi en ses chefs, qui respectait son métier comme un sacerdoce, qui n’élevait jamais un doute audacieux sur l’intelligence de son supérieur, qui ne trouvait rien de beau, rien de grand, rien d’utile, hors de son occupation régulière, qui s’extasiait devant une belle page d’écriture rédigée, corrigée, mise au net, copiée, vue, approuvée, contrôlée par sept mains différentes ; qui servait d’horloge à ses voisins lorsqu’on le voyait sortir et rentrer aux heures du travail et de la liberté ; qui s’abstenait de rire tant que durait la semaine, faisait son maigre repas en silence, et végétait avec dignité. C’est maintenant un homme du monde, presque toujours pourvu d’un talent agréable, comme de chanter la romance ou de jouer la contredanse sur le piano, quelquefois un homme d’esprit, capable de s’associer pour un vaudeville ; qui s’éclipse, dit-il, qui s’enterre, qui abdique ses capacités intellectuelles pendant une partie de la journée ; le premier à se moquer de son esclavage, à faire bon marché de sa besogne, arrivant au bureau le plus tard qu’il peut, trouvant cent prétextes pour quitter sa chaise, goguenard et anecdotier avec ses compagnons d’ouvrage, brochant sa tâche avec facilité, et faisant des caricatures sur sa pancarte. Aussitôt que quatre heures sont sonnées, il ne lui reste plus rien de son personnage. Un coup de brosse donné à son chapeau et sur son habit, car il est élégant et coquet, et le voilà dégagé de ses chaînes, reprenant ses habitudes de plaisir, recommençant sa vie interrompue, coudoyant son secrétaire général qui ne l’a jamais aperçu, et allant s’asseoir, pour ses deux francs, chez un restaurateur, auprès d’un député qui vient peut-être de supprimer, par une réduction, son dîner du mois prochain.
À présent, si quelque affaire vous amène dans ce lieu, ce n’est pas moi qui me chargerai de vous guider à travers ce labyrinthe infini de corridors, de couloirs et d’escaliers ; ce n’est pas moi qui vous indiquerai la porte numérotée de la cellule où vous devez frapper. Mais il est possible que, dans le nombre, vous trouviez un garçon de bureau serviable et poli qui vous répondra, pourvu que vous ne le dérangiez pas dans la lecture du Moniteur3. Pour moi, qui serais fort embarrassé de dire à un concierge ce que je suis venu faire ici, je n’irai pas plus loin que la salle des rentiers, antichambre propre et commode, où viennent se ranger deux fois par an, sans distinction et sans jalousie, les porteurs de trois, de quatre, de quatre et demi et de cinq pour cent. On avait trouvé autrefois un bien joli mot pour désigner ces honnêtes citoyens qui, après que les emprunts ont passé par les mains des banquiers, achètent, au prix du marché, quelque parcelle de la créance sur laquelle les gros spéculateurs ont fait leur bénéfice, et, une fois possesseurs de leur titre, attendent, non sans inquiétude, le jour où le trésor public les invitera au partage actif de l’impôt. On les appelait « intéressés dans les affaires du roi, » ce qui ennoblissait leur condition sans l’améliorer ; car les rois font parfois de mauvaises affaires. Aujourd’hui ils sont devenus créanciers de l’état, et n’en sont pas toujours plus rassurés. Pourtant l’existence de rentier est agréable. Il ne contribue pas aux charges publiques dans la proportion de son revenu. Il n’a pas à craindre les non-valeurs, les incendies, les réparations, les intempéries, les mauvaises récoltes et les faillites, tous ces accidents qui désolent les propriétaires et les industriels. Il n’a pas d’entretien, pas d’ouvriers et de gardiens à payer. Il ne voit l’administration financière que par son beau côté. Il ne connaît ni percepteur, ni avertissement, ni contraintes, ni garnisaires. Il n’a de rapport avec le fisc que pour donner quittance. La Charte4 lui dit que la dette publique est garantie, et il voit chaque jour cette dette s’augmenter par des emprunts nouveaux, preuve irrécusable de confiance et de solvabilité. Cependant il n’est pas sans alarme, comme si les Chartes pouvaient jamais mentir. Il se rappelle que la dette publique fut placée une fois « sous la sauvegarde de l’honneur et de la loyauté française », qu’il fut déclaré « que nul pouvoir n’avait le droit de prononcer l’infâme mot de banqueroute », et que, peu d’années après, la loyauté française, représentée par le directoire, fit banqueroute des deux tiers à ses créanciers, en s’abstenant toutefois de prononcer le mot infâme. Il est à peine revenu de la terreur que lui a causée la menace du remboursement. Il frémit encore de ce guet-apens qu’on lui avait tendu, en lui montrant d’une main le livre du trois pour cent où son revenu allait être diminué, et de l’autre son capital, dont il ne saurait que faire. Il a également peur des révolutions qui ébranlent et des systèmes qui veulent reconstruire. Et vraiment ce serait conscience que de tourmenter dans sa modeste position, que d’inquiéter sur son avenir semestriel, cette classe inoffensive et débonnaire, la moins embarrassante de toutes celles qu’un gouvernement est obligé de contenter. Car le rentier n’est pas un coureur d’émeutes, un vociférateur de sentiments patriotiques, un frondeur de protocoles, un briseur de réverbères. Il ne rêve ni la conquête, ni la restauration, ni la propagande. La république ne se présente à ses yeux que sous la figure hideuse du tiers consolidé, la branche aînée sous le masque trompeur de la conversion. Il ne demande qu’une chose à la politique, c’est qu’elle lui fasse payer exactement ses arrérages ; c’est que tous les six mois, à ce vingt-deuxième jour qu’il connaît si bien, il puisse venir avant l’aurore prendre son rang et son numéro dans la rue, se réchauffer ensuite dans la salle d’attente, où des plumes officieuses lui fourniront sa quittance, et voir s’ouvrir enfin le bureau qui répond à la première lettre de son nom dans quelque ordre qu’elle soit placée. Car il n’y a plus de préférence pour Aaron, plus de longue souffrance pour Yves ou Zacharie ; la révolution a remis l’égalité dans l’alphabet. Il ne s’agit donc plus, quand on est pressé par l’épuisement du dernier semestre, que d’être matinal et d’arriver des premiers à cette immense distribution, où l’on voit accourir en même temps toutes les parties prenantes, rentiers de différentes origines, titulaires de pensions civiles, militaires, ecclésiastiques, enfin porteurs de récompenses nationales, nouvelle espèce de dotation, où l’héroïsme se rembourse en écus, et qu’on pourrait appeler la dette consolidée de l’insurrection.
Or, si vous n’êtes ni inscrit au grand livre, ni appointé, ni pensionné, ni récompensé, il est encore un moyen de participer aux largesses de l’état, et de manger comme un autre votre morceau du budget ; un moyen que je me garderais de vous proposer, si l’administration ne savait pas relever merveilleusement tout ce qu’elle touche. Il faut donc vous dire que dans une salle voisine s’ouvre, trois fois par mois, sous l’invocation de la Fortune, vieille déesse classique dont le culte s’est conservé, et sous la présidence d’un conseiller de préfecture en habit officiel, une solennité qui fait palpiter d’espérance et de crainte tous ces adorateurs en guenilles que l’aveugle divinité traîne à sa suite. En d’autres termes, c’est là que se fait le tirage de la loterie5; c’est là que cinq numéros sortis de la roue vont faire évanouir tant d’illusions, ruiner tant de projets, et, ce qui est pire, exciter les dupes à de nouvelles tentatives. Sans doute vous ne connaissez rien de si honteux que la loterie. Vous vous étonnez qu’un gouvernement, qui doit représenter aussi la conscience publique, puisse exploiter la plus folle des passions, faire profit d’un vice qui se nourrit de crimes, encaisser sans pudeur l’argent qui lui arrive par cette voie, et vous dire effrontément, à la fin de l’exercice : « L’année a été bonne ; nous avons gagné dix millions au jeu contre les malheureux, sans compter encore que le Mont-de-Piété a fourni les mises, de sorte que nous avons reçu des deux mains. » Cependant je dois vous apprendre qu’un philosophe chagrin, un censeur atrabilaire, un homme qui avait fouillé dans la fange de Paris, et qui en a décrit toutes les turpitudes6, s’étant trouvé par hasard législateur, a voté le premier pour l’établissement d’une loterie nationale, où je dois ajouter qu’il obtint une place ; ce que je vous dis bien vite, pour m’ôter l’envie de moraliser. Car qui peut se promettre, dans le temps où nous sommes, de n’être pas un jour appelé à faire des lois, et, une fois là, de conserver sa raison ? Ce qu’il y a de certain, c’est que le tirage est chose bonne à voir ; c’est que les cinq fonctionnaires qui prennent place sur l’estrade gardent admirablement leur sérieux ; c’est qu’on ne saurait avec plus de gravité peser des étuis vides, les ouvrir à moitié, puis tout à fait, y placer des numéros et les fermer à deux reprises ; c’est que les trois enfants qui prêtent leur main novice à cette opération sont déjà, par leur aplomb comme par leur costume, d’excellents garçons de bureau ; c’est enfin que les deux roues, qui complètent, avec ces huit acteurs et le proclamateur des numéros sortants, le personnel de la cérémonie, font honneur à l’ébéniste. Du reste, vous n’éprouverez que pitié à regarder les spectateurs qui viennent s’asseoir sur les banquettes dont la salle est garnie. La caricature, dans ses fantaisies les plus plaisantes, n’invente rien d’égal à ces haillons bizarrement accoutrés, à ces accidents de costume causés par la misère, dont les infatigables poursuivants du quaterne couvrent leur nudité. Mais, le plus triste est que la vieillesse surtout figure dans ce tableau, la vieillesse qu’on voudrait toujours respecter, et qu’il est si pénible de surprendre avilie. Sous des cheveux blancs, devant lesquels Sparte toute entière se serait levée avec vénération, j’ai vu, de deux yeux creusés par le temps, s’échapper de grosses larmes qui se perdaient dans un triple sillon de rides. Le pauvre homme avait encore perdu une mise, et il regardait avec l’air du reproche un livre tout noirci de chiffres, où quelque barème famélique prétendait soumettre les caprices du sort aux règles du calcul, livre infernal qui l’avait trompé, tout comme aurait pu le faire un traité de politique. Il faut reconnaître pourtant que la salle du tirage devient chaque jour moins fréquentée, et, si l’on doit en croire les plaintes de quelques buralistes, voilà encore une branche du revenu public qui menace ruine. Le pauvre se fait économe de ses dernières ressources. Vous verrez que la leçon viendra de ce côté-là, et qu’en s’apercevant que le profit diminue, on s’avisera bientôt de la morale.
Enfin, s’il est bien décidé que vous n’avez rien à recevoir ici, retournez chez vous et n’oubliez pas d’entrer chez le percepteur de l’arrondissement pour solder vos trois douzièmes.
Extrait de M.A. Bazin, L’époque sans nom, Esquisses de Paris, 1830-1833, Paris, Alexandre Mesnier, 1833.
Table des Matières
Un caractère à part, par Olivier Favier.
Préface de l’auteur.
Le Bourgeois de Paris.
L’émeute.
L’Hôtel des finances.
La Bourse.
Le Choléra-Morbus.
Le Flâneur.
- L’immeuble dont la construction commença en 1811 était initialement destiné à devenir l’Hôtel des Postes. À son achèvement en 1822, ce fut l’Hôtel des finances qui s’y installa et l’occupa jusqu’à son incendie durant la Commune de 1871. Il fut remplacé par l’Hôtel continental (1872) et la rue Rouget de Lisle (1878). Il occupait le quadrilatère compris entre les rues de Rivoli, Castiglione, Mont-Thabor et Cambon. Le ministère des finances fut le seul service de l’état à se munir d’un nouvel édifice sous la Restauration, ce qui s’explique en partie par la nationalisation des biens du clergé et des émigrés. L’accablante suprématie du lieu lui valut divers surnoms : « la grande caserne », « le monastère », « l’Escorial des financiers », « le phalanstère administratif ». [↩]
- Sous la Restauration, la garde royale comprenait deux régiments suisses, suivant une tradition qui remontait à la fin du 15e siècle. Ceux-ci livrèrent leur dernier combat aux alentours du Palais-Royal, durant les trois Glorieuses. Ils furent dissous aussitôt après. [↩]
- En 1830, les ordonnances de Polignac avaient tenté de réduire à néant la liberté de la presse. La révolution de Juillet, provoquée par les journaux, marqua le début de leur essor. La censure fut supprimée, les jugements portés en cour d’assise, le timbre diminué. La diffusion globale des quotidiens atteignait 150 000 exemplaires à Paris en 1840, soit l’équivalent du nombre des électeurs censitaires. Le Moniteur, créé en 1789 par l’habile Joseph Pancoucke, se fit l’écho de tous les régimes en place, au point de devenir l’organe officiel de l’état en 1799. Son format imposant lui avait valu autrefois les quolibets des royalistes : « Avec trois Moniteurs on fait un paravent. » Détrôné par le Journal officiel en 1869, il continua à paraître comme organe conservateur jusqu’en 1901. [↩]
- La Charte de 1815 avait donné un cachet constitutionnel au rétablissement de la monarchie absolue. En acceptant la lieutenance-générale du Royaume le 31 juillet 1830, Louis-Philippe déclara : « La Charte sera désormais une vérité. » [↩]
- La loterie royale était permanente depuis 1776, car source de profits immédiats. Supprimée au nom de la morale en 1793, la loterie nationale fut rétablie par le Directoire, à nouveau supprimée en 1836, puis rétablie en 1933, avec le succès que l’on sait. [↩]
- Mercier, l’auteur du Tableau de Paris (Note de l’auteur). [↩]