Angola, par Guido Mazzoni.

 
Je croise Rino Genovese Boulevard du Montparnasse, nous nous connaissons mal, nous passons les premières minutes à jauger les distances, nous traversons les paysages mentaux que les personnes traversent pour aborder les personnes. D’ici quelques mois il aura soixante ans ; je pense à ce que c’est d’avoir soixante ans, voir sa propre vie devenir indéchiffrable pour celui qui existe maintenant, régresser dans le passé. La dalle au-dessus de nous se meut sans nuages, les passants derrière les tables du bistrot marchent sans but. Nous sommes en août, c’est dimanche. Je régresse moi aussi.
Nous parlons des années quatre-vingt-dix, des années soixante-dix, d’une assemblée où Genovese prend la parole comme militant d’un groupe extra-parlementaire pour expliquer aux camarades la révolution communiste en Angola. C’est en 1976, il a vingt-trois ans, il n’est jamais allé en Afrique, il ne parle pas portugais, il sait qu’il est bordighiste mais il ne sait rien des quarante langues qu’on parle en Angola – mais durant des mois, en 1976, il va dans les manifestations pour défendre la révolution communiste en Angola, il parle du MPLA, du FLNA, de l’UNICA, de l’ingérence de l’Afrique du Sud, d’impérialisme américain. Des milliers d’inconnus livrent une guerre dont ils ne comprennent pas grand-chose et qui se terminera vingt-cinq ans plus tard par exténuation, excès de morts, indifférence ; ils le font par obligation, par nécessité, par intérêt, par appartenance ethnique, par pur hasard –mais en 1976 le monde est lisible, il l’est objectivement ; la conscription, la nécessité, les intérêts, les peuples, le hasard font partie d’un conflit entre deux formes de vie, ce schéma est grossier mais reste à l’intérieur des choses, les simplifie et pousse des masses de jeunes Italiens à parler, pendant des mois, de la révolution communiste en Angola comme s’ils pouvaient la comprendre, à descendre dans la rue à Massa ou à Pescara comme si l’Angola avait un rapport avec Massa ou Pescara, ou comme si Massa ou Pescara avaient un rapport avec l’histoire humaine, accomplissant un geste qui en 1976 est évident mais qui cinq ans plus tard deviendrait incompréhensible comme un rituel totémique ou une procession médiévale -et tandis que l’anecdote recrée ce monde quelque chose se déchire, le paysage devient ironique, la parole ‘bordighiste’ se couvre de guillemets, le portable nous ramène dans le présent et je me retrouve mal à l’aise comme lorsque, dans ces dernières décennies, j’ai parlé de Rwanda, de Yougoslavie ou de printemps arabes quand il était évident que cela n’intéressait personne d’en parler vraiment, et que j’écoutais les autres, et je m’écoutais moi répéter des idées de troisième main pour obéir à un rituel qui appartenait à une autre époque, en suivant une obsession qui, vue de l’extérieur, n’est pas très différente de celle qui occupe l’esprit de ceux qui organisent leur temps autour d’un des nombreux dadas dont est faite la vie humaine, à la monomanie de celui qui vit pour le fitness, les jeux de rôle ou l’Atalante de Bergame; parce que les conflits qui nous intéressent n’ont d’autre sens qu’eux-mêmes, parce que la Yougoslavie, le Rwanda, les printemps arabes n’ont pas d’autres sens qu’eux-mêmes, événements illisibles, pures victimes, alors que la politique commence quand il n’existe plus d’événements illisibles ou de pures victimes, quand il devient juste de mourir et surtout de tuer au nom de quelque chose, même si aujourd’hui nous n’osons plus le penser, même si aujourd’hui nous n’oserions plus l’écrire, ou que nous le ferions seulement dans un poème. C’est pourquoi je regarde l’avenue et je passe à des sujets proches, c’est pourquoi je veux me sentir crédible et présent -mes problèmes, la forme de ses lunettes, la chimiothérapie d’un ami, la grossesse d’une amie, un autre nouveau-né. Nous nous saluons ainsi.
 

Angola

Incontro Rino Genovese in Boulevard de Montparnasse, ci conosciamo male, passiamo i primi minuti a calibrare le distanze, attraversiamo i passaggi mentali che le persone attraversano per accostarsi alle persone. Fra qualche mese lui compirà sessant’anni; io penso a come sia avere sessant’anni, vedere la propria vita diventare indecifrabile per chi esiste adesso, regredire nel passato. La lastra sopra di noi si muove senza nuvole, i passanti oltre i tavolini camminano senza uno scopo. È agosto, è domenica. Anch’io sto regredendo.
Parliamo degli anni Novanta, degli anni Settanta, di un’assemblea in cui Genovese prende la parola come militante di un gruppo extraparlamentare per spiegare ai compagni la rivoluzione comunista in Angola. È il 1976, ha ventitré anni, non è mai stato in Africa, non conosce il portoghese, sa di essere bordighista ma non sa nulla delle quaranta lingue che si parlano in Angola – ma per mesi interi, nel 1976, va in piazza per difendere la rivoluzione comunista in Angola, parla dell’MPLA, dell’FLNA, dell’UNICA, dell’ingerenza del Sudafrica, di imperialismo americano. Migliaia di sconosciuti combattono una guerra di cui capiscono poco e che terminerà venticinque anni dopo per estenuazione, eccesso di morti, indifferenza; lo fanno per obbligo, per necessità, per interesse, per appartenenza etnica, per puro caso – ma nel 1976 il mondo è leggibile, lo è oggettivamente; la coscrizione, la necessità, gli interessi, i popoli, il caso fanno parte di un conflitto fra due forme di vita, e questo schema è rozzo ma sta dentro le cose, le semplifica e spinge masse di giovani italiani a parlare, per mesi, della rivoluzione comunista in Angola come se potessero capirla, a scendere in piazza a Massa o a Pescara come se l’Angola avesse un rapporto con Massa o con Pescara, o come se Massa o Pescara avessero un rapporto con la storia umana, compiendo un gesto che nel 1976 è ovvio ma che cinque anni dopo sarebbe diventato incomprensibile come un rituale totemico o una processione medievale – e mentre l’aneddoto ricrea questo mondo qualcosa si lacera, il paesaggio si fa ironico, la parola ‘bordighista’ si copre di virgolette, il cellulare ci riporta nel presente e mi trovo a disagio come quando, in questi decenni, ho parlato di Ruanda, Jugoslavia o primavere arabe mentre era palese che a nessuno interessava parlarne veramente, e ascoltavo gli altri, e ascoltavo me stesso ripetere idee di terza mano per obbedire a un rituale che apparteneva a un’altra epoca, seguendo un’ossessione che, se vista dall’esterno, non è molto diversa da quella che occupa la mente di coloro che organizzano il proprio tempo intorno a uno dei tanti dada di cui è fatta la vita umana, alla monomania di chi vive per il fitness, i giochi di ruolo o l’Atalanta; perché i conflitti che ci interessano significano solo se stessi, perché la Jugoslavia, il Ruanda, le primavere arabe significano solo se stessi, eventi illeggibili, pure vittime, mentre la politica comincia quando non esistono più eventi illeggibili o pure vittime, quando diventa giusto morire e soprattutto uccidere in nome di qualcosa, anche se oggi non osiamo più pensarlo, anche se oggi non oseremmo scriverlo, o lo faremmo solo in una poesia. Per questo guardo il viale e passo ad argomenti prossimi, per questo voglio sentirmi credibile e presente – i miei problemi, la forma dei suoi occhiali, la chemioterapia di un amico, la gravidanza di un’amica, un altro neonato. Ci salutiamo così.

Biographie: Guido Mazzoni (né en 1967) est professeur associé à l’Université de Sienne, spécialiste de critique littéraire et de littérature comparée. Il a publié plusieurs essais et le recueil de poèmes I mondi (Donzelli, 2010). Il est parmi les fondateurs du site Le parole e le cose.

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