Aldo Rosselli, par Carlo Bordini.

 

Aldo Rosselli est mort hier, à Rome, à l’âge de 79 ans. Fils de Nello Rosselli et neveu de Carlo Rosselli, les fondateurs de Giustizia e Libertà, assassinés par les tueurs de Mussolini en France1, cousin de la grande poétesse Amelia Rosselli. Il vivait depuis de nombreuses années à Rome, attiré, comme il l’a écrit dans un des ses récits, avec une formule inoubliable, par le « ciel maniériste » de la capitale, après avoir longtemps vécu en Suisse, en Angleterre et aux États-Unis. Romancier, essayiste, spécialiste de littérature américaine, il avait fondé en 1956 la maison d’édition Lerici et, ces dernières années, avec Daniela Negri, la revue littéraire romaine Inchiostri. Il a été finaliste pour le Prix Strega en 1971 et en 1984.

La liste de ses œuvres de fiction est longue: Il megalomane (1964), Professione mitomane (1971), parus tous deux chez Vallecchi, Episodi di guerriglia urbana (Marsilio, 1972), La famiglia Rosselli et Il naufragio dell’Andrea Doria, chez Bompiani, en 1983 et en 1987, L’apparizione di Elsie (Theoria, 1989), La mia America e la tua (Theoria, 1995), Prove tecniche di follia (Empirìa, 2007), Boston, l’Aventino (Empirìa, 2007).

Homme tourmenté et souffrant, comme du reste sa cousine Amelia, écrasés l’un et l’autre par le souvenir-cauchemar de la fin tragique de leurs pères, il a vécu sa maladie avec dignité, a connu de nombreuses amitiés, a aimé et a été aimé, et a écrit des pages mémorables qui vaudraient d’être rappelées davantage. Quelques uns de ses récits, traduits en anglais par l’ami Luigi Attardi, circulent sur la toile à la recherche d’un éditeur. Il a vécu dans la solitude les dernières années de sa vie, restant en contact avec très peu d’amis.

Aldo Rosselli a souvent donné le meilleur de lui-même dans un genre littéraire particulier, le roman-essai, où l’autobiographie tient une large part, par exemple les inoubliables La mia America e la tua, qui évoque les exilés antifascistes italiens aux États-Unis non sans autodérision, et Prove tecniche di follia, pérégrination dans l’histoire de ses maladies mentales, livre commercialement marginal, pourtant considéré comme un chef d’œuvre depuis quelques années. On a pu le définir comme un émule en langue italienne de la prose à la fois ample et pénétrante d’Henry James; il a aussi donné toute sa mesure dans le roman bref, comme ceux qui apparaissent dans le recueil L’apparizione di Elsie et Boston, l’Aventino et dans le désormais introuvable Una limousine blu-notte paru chez Belforte. Aldo Rosselli a été un profanateur de lieux communs: la crise ou le triangle amoureux, la solitude sont traités dans son œuvre comme s’il s’agissait de sujets neufs et faux en même temps, comme s’ils ne cachaient rien d’autre que le néant. Rosselli a été souvent, dans ses meilleurs moments, un découvreur perfide des replis ambigus de la réalité et des rapports humains; et souvent ses personnages vivent, particulièrement dans ses récits, de non-dits et de restrictions mentales, et cette ambiguïté cimente leur construction. Les personnages de Rosselli sont inconcevables sans une femme à leur côté, et en même temps ils sont seuls ; la vie est une équivoque racontée avec passion dans un mélange de participation et de distanciation très triste. Si la littérature italienne, en particulier la fiction, est remplie d’amours ratés ou impossibles, Aldo Rosselli a apporté sa contribution à cette grande collection, à cette galerie d’efforts et d’échecs.

Texte original paru sur L’Unità, 2 octobre 2013. Traduit de l’italien par Olivier Favier.

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  1. En fait des membres du groupe d’extrême-droite français la Cagoule armés par le régime fasciste. Voir mon entretien avec Stella Savino. (Ndt) []

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