Sex machine (extrait), par Giuliana Musso.

 

Il y a des femmes qui vendent du sexe.
Il y a des hommes qui en achètent.
Les femmes qui se prostituent en Italie sont environ soixante mille.
Les clients sont des millions.
Certaines femmes le font par vocation,
D’autres par nécessité,
D’autres parce qu’on les y oblige.
Les hommes le font parce qu’ils en ont envie.
On peut appeler les prostituées de différentes manières : péripatéticiennes, catins, putes, poules, grues, belles de nuit, entraîneuses, salopes, travailleuses du sexe, femmes faciles, femmes légères…

Les clients s’appellent seulement clients.

« Je voudrais que tu écrives que je ne suis pas différente des autres, je ne suis différente de personne, que ce n’est pas juste que tout le monde nous traite de cochonnes et de dégoûtantes, mais qu’ensuite on vient quand même nous chercher.
Ou nous sommes sales et dégoûtantes et alors c’est tout, éliminez nous. Ou alors nous vous sommes nécessaires, mais alors dîtes le. Moi je voudrais que tu écrives ça. »

(Les putes, Aurelio Grimaldi)

 

PROLOGUE

Sex Machine. C’est la grande machine du sexe.

Venez frères et sœurs, il y a de la place pour tout le monde, hommes et femmes, et pas de quoi avoir peur, nous sommes entre nous, nous nous connaissons tous, nous sommes tous italiens : fils à maman et amants flamboyants, avec les femmes les plus belles du monde, et le lien sacré du mariage, et les enfants qui en sont la chair et le sang !!!

Nous, Italiens, peuple
De saints,
De poètes,
De navigateurs
Et d’hommes qui vont aux putes !
(…)

Sex Machine. C’est le manège des obsessions !
Il y a le rayon sexe à la maison
Toujours gratuit, confortable et légal
Sauf que ce n’est pas un péché…

Dommage : aucune transgression.
Aujourd’hui un couple sur deux divorce
Mais le mariage est toujours un ever green
Car la famille est le pivot de notre société
D’ailleurs le crime d’honneur n’a pas disparu
C’est juste qu’aujourd’hui on l’appelle « crime passionnel »

Les statistiques nous disent que sur cent femmes violées en Italie,
20 l’ont été par leur mari,
17 par leur petit copain
24 par un ami
3 et demi seulement par un maniaque inconnu.
Ces chiffres vous font peur ?
Rassurez-vous, les gars :
Le sexe c’est la sécurité : 90 pour cent de ces femmes ne dénoncent pas leur violeur…

Sex machine. C’est l’excitation souterraine de la plaine laborieuse.
Le petit coin des extravagances :
Sex shops, clubs privés, soirées sado-maso ou fétichistes, échangisme, parties à trois, quatre, cinq…, petites orgies…

L’Euro est en crise ? Investissez dans les vibromasseurs !
L’an dernier la vente des sex-toys a augmenté de 20 %.
On achète des centaines de poupées gonflables par mois,
La plus vendue s’appelle « Perfection »,
Elle ne coûte que 600 euros,
Elle a des petites mains en forme de cylindre et des vibrateurs dans les paumes
Et le latex est lavable aux endroits qui le nécessitent.
Sex Machine. Et voici le clou du spectacle :
Le sexe cochon à vendre,
Entrez donc tous, c’est tellement beau !
Neuf millions de rapports sexuels tarifés par an
Soixante-dix mille femmes sur le marché dont 85 % sont étrangères.
Parce que c’est comme ça qu’elles nous plaisent : exotiques, soumises et sous-payées.
Et pour finir nous nous sommes débarrassés des Italiennes, ces professionnelles indépendantes expertes mais teigneuses.
C’est mieux ainsi : les prix ont chuté, tu as vu ?
Moins d’ennuis et plus de chair pour tout le monde !
Sex Machine. C’est la machine de la liberté !
Parce que aujourd’hui nous sommes libres de le faire en cachette,
Nous en avons sacrément besoin !
Et finissons-en avec la chasse au grand méchant loup,
Le grand méchant loup, c’est nous ! Il faut s’en rendre compte !
C’est ça le « Real Italian way of life » !
Et toute chose a son prix, toute chose a sa place :
La maman dans le salon,
L’amoureuse à la pizzeria,
La bonasse sur l’écran,
Et la Nigériane sur le périph’.
Essaye donc de foutre le bordel,
Essaye de changer les choses…

Essaye de mettre
La Nigériane dans le salon,
La bonasse à la pizzeria,
L’amoureuse sur l’écran,
Et ta mère sur le périph’ !!

 

SILVANA

Pourquoi tu tapines, c’est ton problème, mais vu que tu le fais, fais-le bien.
Soigne ton corps, ton humeur,
Et aussi ton esprit, on n’est pas fait que de chair, quand même !
Ne commets pas l’erreur de penser que l’homme vient te trouver pour acheter du sexe : ce n’est pas vrai.
Ce qu’il veut acheter, c’est l’idée de coucher avec une prostituée.
Et c’est ça que tu dois savoir vendre : une idée…

Bien sûr tu lui donneras aussi du sexe afin qu’il puisse se dire que c’est pour cette raison qu’il va avec toi.
Mais la vérité, c’est que ça le rend dingue l’idée de payer une femme,
Au moins autant que ça te plaît à toi d’être payée.
(…)
La devise de la maison doit être : SYMPATHIE ET RAPIDITE !!
« Ciao ciao » et tu descends de la voiture.
« Ciao ciao » et tu montes dans une autre.
C’est une règle générale, non ? : Rapidité = temps = argent.
Il n’y a que quand tu négocies le prix que tu ne dois pas être pressée,
Il y a des choses que tu fais et d’autres non. Un point c’est tout.
L’argent, tu demandes qu’on te le donne tout de suite
Et c’est à partir de ce moment que se déclenche le chronomètre :
Chacun de tes gestes est calculé.
La passe est comme un théâtre de marionnettes, un guignol.
Souviens-toi que tu es comme la publicité :
Tu vends de la fumée, une idée, une illusion.
Dans le vif des choses, ton habileté consiste à donner le minimum,
En récoltant le maximum,
Dans les délais les plus brefs !
Pas de baisers, jamais sans préservatif.
(…)

Si tu tombes amoureuse,
C’est un problème.
Et si lui aussi t’aime pour de vrai,
Parce qu’il existe des hommes comme ça,
Alors tu dois arrêter.
Tu dois oublier
La mécanique hallucinante de la passe,
Tu dois apprendre à le faire
Avec une personne qui te veut toi,
Pas la putain,
Qui te veut, Toi…

Vas-y petit à petit,
Change de maison,
Change de quartier,
Trouve-toi un travail normal,
Va vivre avec lui…

Mais si tu t’attends à ce qu’il t’épouse,
Tu te trompes,
Il ne le fera pas,
Pour lui aussi,
Tu resteras toujours
Une putain.

 

Spectacle théâtral de Giuliana Musso, avec la collaboration de Carla Corso.

Traduction d’Amandine Mélan

 

Bruxelles, juillet 2010. Photo: Olivier Favier.

 

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