Manuel Francisco dos Santos est né à Pau Grande, dans le Mato Groso : une favela à 50 km de Rio… pauvre… très pauvre… tellement pauvre qu’il n’y avait aucune hygiène, et à quatre mois le petit attrapa une méchante poliomyélite… foudroyante… mortelle… qui le garda entre la vie et la mort pendant 11 très longs mois… puis la poliomyélite s’échappa, elle s’en alla par la fenêtre… mais en laissant un petit souvenir : un corps tout maigre… et une colonne vertébrale en forme de « S »… une jambe droite plus courte que la gauche de 6 centimètres… le gamin apprend… pas à marcher non… il apprend à boiter à 11 ans… Et, c’est clopin-clopant qu’il s’en va faire ce que font tous les autres gamins au Brésil : jouer au ballon :
– Les gars : je peux jouer moi aussi… vous me faites jouer moi aussi ?
– Va-t-en… tu ne peux pas jouer avec nous… tu t’es regardé ? Tu es maigre… tu boites… tu es tout : « garrincha »… retourne chez toi, allez pars… garrincha.
… c’est son frère qui lui dit ça : boiteux… maigre… garrincha… en brésilien, garrincha c’est le nom d’un petit moineau : si fragile et si faible qu’il suffit d’un coup de vent pour le prendre et l’emporter… mais ce gamin-là, boiteux… maigre… le garrincha : c’est une demi-portion, et il veut faire du football, il s’entraîne : tout seul, contre un mur avec une balle de chiffons… il prend la balle et il tire contre un mur et il la reprend, et il retire… matin… après-midi… soir… nuit… « Garrincha, le repas est prêt : tu viens ? » « Non » … et il joue… toujours… et peu à peu il grandit : et chez les adultes le désir de le garder dans une équipe grandit lui aussi, parce que ce gamin-là, tordu, boiteux, maigre : quand on lui met une balle entre les pieds c’est un phénomène… un phénomène : la balle, personne ne la lui prend, jamais… il a une technique exceptionnelle comme on n’en a jamais vu dans tout le Brésil… en plus, il invente une feinte : toujours la même, et ils tombent tous dans le panneau… il pointe l’adversaire à gauche et avec sa jambe qui boite il le dépasse en sautant par la droite… mais comment ça ?… comment fait-il ?… et à force de dépasser les adversaires, Garrincha finit par jouer dans le Botafogo, une équipe importante de première division, et là, dès le premier match qu’il joue, il devient l’idole des supporters qui aussitôt le baptise « la joie des gens » : à cause du plaisir qu’il leur donne en dribblant, en faisant des feintes, des centres, en marquant des buts… et parce qu’il leur fait oublier, pendant 90 minutes, toute la pauvreté qu’il y a là au Brésil…. et le soutien populaire l’amène à endosser le maillot de la mythique Seleçao : la Nationale, et avec elle il part pour le Mondial de Suède, en 1958.
Et grâce aux dribbles, aux centres et aux buts de Garrincha, et à ceux d’un autre gamin qui avait 18 ans et qu’on appelait le « ballon qui rebondit », Pelé, le Brésil remporte le premier titre de Champion du monde de toute son histoire.
Le Brésil : Dieu, Samba, Football.
Au pays, c’est un vacarme de tous les diables : tout le monde est dans la rue à danser, s’embrasser, faire l’amour et chanter… le Carnaval à côté ce n’est rien… et quand les joueurs rentrent au Brésil en avion depuis la Suède, ils sont vraiment considérés comme des héros nationaux… de sorte que le Gouverneur de Rio décide d’organiser une grande fête dans sa somptueuse tenue en l’honneur de ces misérables champions…
…et ce qui s’est passé à la fête est une histoire qui, aujourd’hui encore, au Brésil, se raconte de père en fils, de grand-père en petits-fils… comme une histoire avant d’aller dormir…
« Le Gouverneur de Rio est tout content parce que dans sa maison il y avait les joueurs champions du monde… les belles femmes… et l’opinion publique… Pour tout cela et aussi pour donner une belle image de lui à tout le monde, il appelle les joueurs et les fait mettre en rang :
« Mes petits… comme récompense pour votre très grande et admirable entreprise, moi, en tant que moi-même en personne, je vous fais cadeau à chacun d’une villa à Copacabana. »
… Les bouteilles de Champagne sont débouchées, les jeunes femmes assaillies, les joueurs du Brésil roulent à terre dans leur ivresse… tous les joueurs brésiliens sont le bonheur incarné… tous… sauf un : Garrincha.
Garrincha reste seul
à l’écart
visiblement triste.
Le Gouverneur de Rio s’en rend compte, et il lui vient à l’idée que peut-être pour Garrincha la villa était un cadeau trop petit, pour lui qui avait remporté le mondial de football. Le Gouverneur de Rio fait :
« Garrincha, mon ami… qu’est-ce qui t’arrive ?… la villa ne te suffit pas ? … Faisons comme ça : tu me demandes ce que tu veux à la place de la villa, et je te l’offre »
« Vous dites vrai, Monsieur le Gouverneur ? »
« Vrai de vrai. »
Et Garrincha montre quelque chose devant lui.
Tout le monde se retourne. Tout le monde, vraiment.
Et ce que voient les gens c’est une cage.
Avec un petit moineau à l’intérieur.
Un piaf.
« Monsieur le Gouverneur, j’en ai une de maison… qu’est-ce que ça peut me faire, à moi, d’avoir une maison en plus ?… Ce que je vous demande à vous c’est ceci : qu’on libère ce moineau de sa cage… c’est ça que je veux. »
Et le Gouverneur de Rio traverse la pièce, ouvre la cage et fait sortir le moineau, qui est libre de voler dans le ciel.
Oublié, Garrincha meurt le 20 janvier 1983 : seul, pauvre, gros et alcoolique, après avoir été frappé d’un collapsus sur un trottoir, dans la rue. À Rio de Janeiro on peut voir un murales énorme. Il est écrit : « Garrincha : merci d’avoir vécu ».
Extrait de Davide Enia, Italia-Brasile 3 a 2, Palermo, Sellerio, 2010 (prima edizione da Ubulibri nel 2004). Traduit par Olivier Favier.
Pour aller plus loin:
- Le site de Davide Enia. En italien.
- La page des éditions Sellerio. En italien.
- Un article sur une autre légende du Football: les verts de Saint-Étienne, sur le site Rue 89.
- Pelé, Garrincha – Dieux du Brésil, un documentaire de Jean-Christophe Rose (Arte-France, 2002).