L’expression de ce point de vue complémentaire aux conseils donnés ici, qui m’est proposée par Olivier Favier avec l’accord de Monsieur Luc Douillard (le père de Pierre, le jeune homme gravement blessé à Nantes, déjà, en 2007 et dont j’ai suivi l’affaire de proche en loin depuis), est dictée par le strict souci d’accroître l’efficacité des nécessaires réactions judiciaires que doivent, selon moi, entraîner ces comportements des « forces de l’ordre », qu’il s’agisse d’arrestations et de détentions arbitraires, abusives, ou de violences entraînant mutilations, blessures graves, voire, dans certains cas, la mort.
Le plaignant dispose de délais au-delà desquels il perd ses droits à saisir la justice pénale:
Sauf situation particulière, ces délais sont les suivants :
- 1 an pour les contraventions
- 3 ans pour les délits (vols, coups et blessures, escroquerie)
- 10 ans pour les crimes
Ces délais courent en principe à compter du jour de la commission de l’infraction.
Dans ce genre de situation, l’action pénale se déroule désormais en deux temps:
- la plainte (pour obtenir la condamnation)
- la constitution de partie civile (pour obtenir la réparation du préjudice)
La plainte doit mentionner:
- votre état civil complet
- le récit détaillé des faits, la date et le lieu de l’infraction
- le nom de l’auteur présumé s’il est connu de vous (à défaut, il convient de déposer plainte contre X)
- les noms et adresses des éventuels témoins de cette infraction
- la description et l’estimation provisoire ou définitive de votre préjudice (physique, matériel, moral, psychologique…)
Dans la plainte, mentionner la « tentative d’homicide » n’est pas utile, et peut même s’avérer contre-productif. Idem pour la mention de « groupe organisé ».
En revanche, joignez d’emblée à la plainte copie du certificat médical avec mention des jours d’ITT (incapacité de travail temporaire), copie de l’expertise, de la décision MDPH (Maison départementale des personnes handicapées) et plus généralement, tout ce qui est susceptible d’étayer votre plainte.
Tâchez de garder les vêtements, chaussures etc. que vous portiez ce jour-là « en l’état » si besoin.
Soyez aussi attentifs que possible à la rédaction des certificats médicaux et notamment aux jours d’ITT qui détermineront aussi le niveau des poursuites envisageables, ainsi que le quantum de la peine.
N’oubliez pas, si les violences subies vous laissent (malheureusement cela arrive) avec un handicap, de saisir la MDPH de votre département pour le faire reconnaître. Ce seront autant d’éléments importants pour la suite.
Tentez par tous moyens (légaux) d’obtenir au moins quelques témoignages de ce que vous avez subi personnellement, mais également, du contexte et de l’endroit. L’examen de la fiabilité et de la crédibilité de ces témoignages est une étape importante, dans laquelle un avocat peut vous être utile.
Pour faire rédiger un témoignage, vous trouverez ici le formulaire idoine (auquel il faut joindre une copie de la pièce d’identité).
Collectez tous les articles de presse que vous pourrez trouver sur votre sujet.
À réception de cette plainte, le Procureur peut refuser de poursuivre et classer « sans suite » – vous en serez alors (normalement) informé.
Ou bien il peut décider d’une citation directe, ou encore de l’ouverture d’une information judiciaire. Un juge d’instruction est alors saisi.
Pour la constitution de partie civile:
La procédure se complexifie (et l’avocat(e) prend son entière utilité), je ne ferai que l’évoquer ici.
En cas de classement sans suite ou de silence gardé par le Procureur, il faut remplir les 2 conditions cumulatives suivantes :
- avoir déjà déposé une plainte simple
- posséder un courrier du procureur de la République informant de son refus d’engager des poursuites
Toutefois, au bout de 3 mois après le dépôt de plainte, si aucune poursuite n’a été engagée par le Procureur de la République, la production d’un courrier de sa part informant du classement sans suite n’est plus une condition préalable.
Dans ce cas, le dépôt de plainte avec constitution de partie civile se fait par courrier RAR (Recommandé avec accusé de réception), daté et signé, dans lequel figurent :
- une déclaration indiquant clairement votre volonté de vous constituer partie civile (« Je souhaite me constituer partie civile »)
- la demande de dommages-intérêts
- l’adresse, en France, où vous contacter
Le courrier est adressé au doyen des juges d’instruction du Tribunal de Grande Instance du lieu de l’infraction ou du domicile de l’auteur de l’infraction (normalement le même TGI -Tribunal de grande instance- que celui du Procureur auquel vous vous êtes adressé).
En cas d’instruction, il est possible de se constituer partie civile à tout moment, dès lors que des poursuites pénales ont été engagées. Ne tardez pas.
À ce stade, l’assistance de l’avocat me semble quasi-inévitable. Il s’occupera de la constitution de partie civile pour vous. Sinon, adressez votre constitution directement au juge d’instruction selon les modalités de la plainte (cf. articles 87 et suivants du code de procédure pénale).
En l’absence d’instruction et en cas de citation directe, à tout moment jusqu’au jour du procès, vous pouvez vous constituer partie civile en se présentant au greffe du tribunal qui va juger l’affaire ou en envoyant une lettre recommandée avec accusé de réception au président du tribunal saisi au moins vingt-quatre heures avant la date de l’audience (en indiquant dans le courrier son identité, la nature du préjudice et de l’infraction ainsi que le montant des dommages et intérêts réclamés).
Le jour du procès, vous pouvez vous constituer partie civile en vous présentant au greffe du tribunal saisi de l’affaire avant que le procureur de la république ne prenne la parole à l’audience pour son réquisitoire.
Mon conseil:
Pour ma part, compte tenu des subtilités et des chausses-trappes des procédures pénales et administratives (particulièrement en termes de responsabilité de la police, de l’État), je ne saurais trop vous conseiller, dès que vous vous êtes décidé à agir, de prendre attache avec un(e) avocat(e) qui « s’y connaisse » en procédure pénale et/ou en procédure administrative.
Cela me semble, d’expérience, plus raisonnable que de tenter de lancer la procédure seul(e), sans être conseillé(e) et accompagné(e).
Cela préserve vos recours et accroît vos chances de succès (qui sont, ne nous le cachons pas à ce stade, d’emblée assez minces ou pas à la hauteur des faits). Il serait en effet dommage qu’une cause juste se heurte à une irrecevabilité (ce qui peut arriver).
Si vous manquez de moyens financiers, sachez qu’un « bon » avocat ne refusera pas nécessairement de vous défendre au bénéfice de l’aide juridictionnelle. Posez-lui toujours la question (je connais pour ma part plusieurs confrères « grands pénalistes » qui prennent certains dossiers qui les touchent avec l’aide juridictionnelle).
Sachez également que dans certains cas, votre assurance domicile/responsabilité civile/bancaire… peut prendre en charge une partie des frais d’avocat (s’il l’accepte). Renseignez-vous.
D’un point de vue pratique – comment se renseigner et trouver un(e) avocat(e):
Il existe plusieurs collectifs militants qui ont parfois pris certaines affaires en mains avec un(e) avocat(e). Vous pouvez vous rapprocher d’eux. Certains sont sérieux, d’autres moins. Je ne peux pas garantir aveuglément la fiabilité de tous.
Vous pouvez également vous rapprocher:
- du Syndicat des Avocats de France (traditionnellement plutôt engagé « à gauche », disposant de plusieurs contacts de confrères et consœurs formés et entraînés soit à la procédure pénale soit à la procédure administrative )
- et/ou de la LDH de votre localité
- ou, enfin, de l’Ordre des Avocats de votre département (en recherchant les « mentions de spécialisations » – droit pénal, droit public – qui garantissent une formation spécifique solide)
Si vous ne trouvez pas d’avocat par vous-même, demandez à ce qu’il vous soit désigné par les services de l’aide juridictionnelle (cf. ci-dessous).
Pour former une demande d’aide juridictionnelle (soit que votre avocat l’accepte, soit que vous n’ayez pas trouvé d’avocat et que vous demandiez à ce qu’il vous en soit commis un), un formulaire également (à déposer au bureau d’aide juridictionnelle de votre TGI – attention à Paris le BAJ -Bureau d’aide juridique- est dans les locaux du Tribunal de Commerce):
Pour continuer la réflexion et avancer:
- Avant les manifestations, je ne peux que recommander vivement à chaque manifestant de lire attentivement l’excellent Guide du manifestant arrêté mis au point, publié et mis à jour régulièrement par le Syndicat de la Magistrature (ici la version 2013).
- Sur le sujet général des violences policières, lire ici les travaux d’Amnesty International (2009)
- Toujours à ce propos, les travaux de la Ligue des Droits de l’Homme (août 2006 – attention certaines commissions ne sont plus d’actualité)
Élodie Tuaillon-Hibon est avocate au Barreau de Paris. Elle a publié sur ce site:
- Pour lutter contre le racisme il faut lutter contre le racialisme.
- La loi c’est la loi, pour tous ou pour personne. (sur le travail du dimanche)