La photographie ou le surréalisme par nature, par Susan Sontag.

 
Que la photographie soit le seul art surréaliste par nature ne signifie pas cependant qu’elle partage les destinées du mouvement surréaliste officiel. Au contraire. Les photographes -parmi lesquels on trouve de nombreux peintres- qui ont subi consciemment l’influence du surréalisme comptent presque aussi peu aujourd’hui que les photographes « pictorialistes » du XIXe siècle qui imitèrent le style de la peinture académique. Il n’est pas jusqu’aux plus jolies trouvailles des années vingt -les photos solarisées et les rayographes de Man Ray, les photogrammes de Laszlo Moholy-Nagy, les surimpressions de Bragaglia, les photomontages de John Heartfield et d’Alexandre Rodchenko -qui ne soient considérées dans l’histoire de la photographie comme des tours de force marginaux. Les photographes qui se donnèrent pour tâche essentielle de brouiller le réalisme prétendument superficiel de la photo furent ceux qui donnèrent la vue la plus limitée des propriétés surréalistes de la photographie. Ce que le surréalisme avait légué à la photographie prit une apparence banale à mesure que son répertoire de fantasmes et d’accessoires était rapidement récupéré par la mode des années trente, et le principal apport de la photographie surréaliste fut un style de portrait maniéré, reconnaissable à ce qu’il utilisait les mêmes conventions narratives que celles que le surréalisme avaient introduites dans les autres arts, et spécialement dans la peinture, le théâtre et la publicité. L’évolution de la photographie a montré qu’il était inutile, sinon en fait redondant, de manipuler ou de théâtraliser le réel à la façon des surréalistes. Le surréalisme est au cœur même de l’entreprise photographique: du seul fait qu’il crée un double du monde, une réalité au second degré, plus étroite mais plus dramatique que celle que perçoit la vision naturelle. Moins elle est manipulée, moins il y entre de technique, plus elle est naïve, et plus une photo a de chances de faire autorité.

Extrait de Susan Sontag, Sur la photographie, Le Seuil, Paris, 1979. Traduction de Philippe Blanchard avec la collaboration de l’auteure.

Photo: Robert Frank, Londres 1952-1953.

Mais le Merveilleux est moins encore une tension extrême de l’être que la conjonction du désir et de la réalité extérieure. Il est, à un moment précis, l’instant troublant où le monde nous donne son accord.

 Pierre Mabille, Le Merveilleux, Les Éditions des Quatre vents, Paris, 1946 (réédition Fata Morgana, 1992).

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