Reine de fleurs et de perles (2), par Gabriella Ghermandi.

 

(Début)

 

La chambre ne contenait pas grand chose. Sur le sol en pierre étaient posés les pieds d’un sommier recouvert d’un matelas, à côté du sommier des étagères vides, dans un coin une petite table ronde avec quelques icônes, dont une de la Vierge, qui se distinguait particulièrement rendant les autres insignifiantes, un bout de chandelle et puis des araignées. Des araignées et des toiles d’araignées dans chaque trou et chaque recoin de la chambre. Enfin, aux pieds du sommier un coffre peint avec un vernis vert, écaillé par endroits, et fermé par deux énormes cadenas couleur laiton.

Une petite flamme s’alluma dans mon esprit.

Que pouvait-il contenir? Qui sait peut-être les secrets de la vie du vieux Yacob ? Je ne savais pas grand chose sur lui. Durant leurs cafés, les femmes n’avaient jamais abordé le sujet. Et comment auraient-elle pu ? Les trois anciens étaient toujours présents, et comme cela arrive souvent, on ne parle pas des présents. Quelques fois seulement, le soir, à la maison, lorsque les trois anciens s’étaient retirés en bas dans leur chambre, j’avais entendu quelques bribes de phrases. Ma mère et mon oncle Mesfin disaient que les trois anciens, et surtout le vieux Yacob, avaient été de valeureux guerriers, de grands arbegnà1, mais, disait mon père, le vieux Yacob avait combattu seulement deux ans, ensuite il avait été contraint de rentrer. Parce que Rosa, la cousine du second degré de ma mère, était née. La précision apportée par mon père était comme le la d’un chef d’orchestre. Aussitôt, l’un de mes oncles commençait à raconter l’histoire de mon ancien préféré. Hélas, à peine les premiers échanges commencés, ma mère disait qu’il s’était fait tard pour nous les enfants et elle m’envoyait au lit me laissant les oreilles vides.

L’imagination rivée sur le coffre, mon esprit s’était mis à tourbillonner passant d’une fantaisie à l’autre. En fond sonore, j’entendais les Fukerà, les chants guerriers, qui coloraient mon imagination. Les gestes héroïques des trois anciens défilaient dans mes pensées comme si j’étais en train de regarder l’un de ces films indiens projetés au cinéma de Debre Zeit. Ces films niais avec des héros à foison.

«Tu as terminé ton inspection des lieux?», me demanda le vieux Yacob me ramenant à la réalité.

Je tournai la tête vers le coffre en me mordant les lèvres.

«Woi gud anchi lij!», dit-il l’air satisfait.

Il enfouit ses mains sous son shemmà, fouilla dans la poche de son pantalon, et en sortit un trousseau de clés qu’il me tendit.

Instinctivement, comme si les clés étaient brûlantes, je cachai mes mains derrière mon dos et me mis à dodeliner de la tête en signe de désapprobation.

Je ne les prendrai pas.

Le vieux Yacob se leva, alla vers le coffre et l’ouvrit. «Viens, viens ici».

Je descendis du lit, m’approchai de lui, et comme lui, m’assis sur les talons.

«Si tu veux savoir ce qu’il renferme il faudra que tu y mettes les mains».

«Dans ton coffre?». «Bien sûr», répondit-il. Je le fixai dubitative. C’était du jamais vu. Un adulte, qui plus est, un ancien, était en train de me pousser à transgresser, ouvertement, une des plus importantes règles d’éducation qui m’avaient été inculquées par ma mère et mon père: ne pas fouiner dans les affaires des grandes personnes, que chacun reste à sa place.

«Allez –poursuivit-il– fourre tes petites mains d’enfant dans le coffre et montre-moi où te mène ta curiosité».

Je jetai un coup d’œil dans le coffre, un chatouillement intérieur qui voulait savoir ce qu’il y avait là dedans me donnait de l’élan. Je résistai à l’impulsion. Peut-être était-ce un piège. Si j’avais cédé à cet élan intérieur quelqu’un m’aurait punie : si ce n’était le vieux Yacob pour sûr Dieu l’aurait fait, qui me regardait avec tous les Saints depuis la petite table aux icônes. Il m’aurait punie avec les araignées. J’avais déjà éprouvé la piqûre d’une de ces bestioles sur l’un de mes pieds. Cela n’avait pas été agréable. Ma mère avait du m’emmener chez un herboriste parce que mon pied avait gonflé et que je n’arrivais plus à marcher.

«Alors! Qu’est-ce qu’il y a, mon coffre ne t’intéresse pas?» me titilla le vieux Yacob.

Il m’intéressait et comment. Je fis un petit tour d’horizon avec les yeux avant de replonger les miens dans les siens. «Il n’y aurait pas des araignées dans ta maison par hasard?». Il comprit. «Je jure sur la Vierge de mon autel que rien ni personne ne te punira ni moi, ni les araignées ni même Dieu. Ce sera un secret entre toi et moi. Allez, montre-moi ce que tu es capable de trouver».

Je laissai échapper un soupir et me concentrai sur ce chatouillement intérieur, qui se muait à présent en ardentes flambées de curiosité. Guidée par elle, je tendis une main et la plongeai dans le coffre ouvert.

Mes doigts touchèrent le doux tissu d’un shemmà. Je les fis courir sur les plis ondulés, puis j’enfilai la main dans le pli suivant et j’en explorai chaque millimètre.

Il n’y avait rien.

Je passai ensuite au pli suivant.

Là encore, ondulations du moelleux coton filé par les Dorzé de Chencha et rien d’autre.

Je passai au crible tous les plis du premier shemmà, puis du deuxième et enfin du troisième. Il n’y avait rien.

Je ressortis la main du coffre, ne sachant trop si je devais ou non continuer, et me tournai vers le vœux Yacob. «Allez! Continue!».
Je lâchai un soupir.

«Allez! Cherche!», répéta t-il.

Encore une fois, je plongeai la main dans le coffre et la fis glisser sous le troisième shemmà. J’y trouvai un tissu plus rugueux, le coton des chemises. Je tâtai les cols, les poches, les boutons, le fil fin des coutures, les raccommodages mais rien d’autre. J’engouffrai ma main plus loin et y trouvai des pantalons, deux avec une ceinture, d’autres sans, et puis des poches sur les côtés, des poches derrière, fermées par un bouton, des coutures, des raccommodages … Sous les pantalons, dans un coin, une petite boîte rectangulaire en carton. Je l’ouvris et en sortis son contenu. C’était une boîte de chandelles. Il en manquait une, probablement le bout consumé qui était sur l’autel.

Et c’était tout ce que contenait le coffre.

 

Traduction inédite de Federica Martucci.

 

(Suite)

 

Gabriella Ghermandi, Regina di fiori e di perla, Roma, Donzelli, 2007. (Traduction en cours de Federica Martucci, en attente d’éditeur).

Pour aller plus loin:
  1. Patriotes guerriers. Wst arbegnà : infiltrés dans l’appareil italien, avec la fonction de messagers et d’estafettes pour les ravitaillements en armes et en nourriture. []

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