Poème inutile, par Carlo Bordini.

 

 

Je suis un type quelconque
de l’occident chrétien
un jour nous fîmes une réunion près de l’église de
et nous avions un air extrêmement sauvage
je ne comprends pas grand chose
en ce sens je n’ai rien à dire
j’écris donc ceci par pur narcissisme
et j’en suis fier (parce que je me libère au moins)
un jour des policiers entrèrent chez moi leurs pistolets pointés
et je dis « bonjour »
je ne peux pas m’empêcher d’être comique
un jour nous avions fait une réunion près de l’église de San Pantaleo
et nous avions un air extrêmement sauvage
(c’étaient les années 70)
et bien sûr nous n’étions pas chrétiens
poème inutile dans quel sens ?
qu’il est inutile
aux autres et à moi
le commissaire qui commandait les hommes armés se mit avec nous autour d’une table
et il dit :
mais où vais-je trouver un autre travail, à mon âge
après la septième fois elle [me] dit:
« Arrête, je vais m’évanouir »
J’ai exploré les méandres de la folie
ou mieux j’y ai joué
j’ai tourné autour d’elle
sans oser y entrer / dedans /
Elle se mit avec un psychanalyste et peu à peu elle devint folle.
J’ai été le dernier à l’abandonner.
Faire l’amour avec elle c’était comme conduire un camion
Je la vis à la mer dans les dernières flammes de sa beauté
Je pourrais l’aimer d’un amour infantile
Je suis allé à une manifestation de sclérose latérale amyotrophique
les malades étaient joyeux
il y avait un climat de grande joie
tout le monde s’embrassait
La tristesse des sols sous lesquels on sent / que ?/ il y a un garage
… cendres dispersées dans une décharge, où j’irai rejoindre mes
frères : les épaves les fragments les déchets les gens qui
découpent le jambon les biftecks à la florentine
J’ai appris le renoncement, qui sert à vivre et survivre et à être forts
Le renoncement, sœur du don et de l’homicide
C’est intéressant comme deviennent sordides
les choses des morts
les médicaments à demi utilisés, les vieilles quittances de paiement
Un frisson me secoue
Je voudrais feindre de tomber amoureux
Ce sera comme n’être jamais né
Les autres s’étonneront
Se demanderont pourquoi.
Le rapport annuel de la Banque des Règlements Internationaux (Bri), publié fin juin 2006, parle de comportements économiques agressifs et d’orientations auxquels « il est difficile de donner une explication logique ».
cette satisfaction pour la chute
Si je m’y prends bien
je ne m’apercevrai même pas [du passage.]
Je ne me souviendrai même pas d’être mort
Mais on peut recommencer, pense-t-il, aller d’un point à l’autre
Vous êtes en train de violenter [torturer] le monde, d’accumuler des richesses, de construire des maisons, de jeter des bombes, de bâtir des protectorats, de tuer des familles ;
Je ne veux pas assister au phénomène
de ce cerveau qui se brise
L’unique chose [sérieuse] que je peux faire c’est mourir
Comme un ciel
tendre couleur
pluie
Un bonhomme de neige
faire avec les décombres un bonhomme de neige
L’impérieuse confiance dans l’amant
le délire des amants
le drame et le mélodrame
le deuil féminin
délire
Je suis un monsieur de condition aisée à la retraite,
je me promène toujours bien boutonné
comme il convient à un homme d’un tel état
Doses d’excitation en quantités modérées
cette lente façon d’hésiter
cette hésitation
Sont exclus les dommages :
S’étant produits à l’occasion d’actes de guerre, d’insurrection, de tumultes populaires, de grèves, d’émeutes, d’actes de vandalisme ou de fraude, d’actes de terrorisme ou de sabotage, d’occupation militaire, d’invasion, sauf si l’Assuré prouve que le sinistre n’a aucun rapport avec de tels événements
Comme tu es désormais, tu te caches derrière tes ongles
Intérieurement déchiré il est comme un bœuf
Comme le cormoran qui s’ouvre avec le
bec
la couleur de la peau jaunâtre pour la vie sédentaire
Je le sais parce que tu me plais
parce que tu es blonde
et que je te plais
parce que j’ai des moustaches
aujourd’hui j’ai vu une
jeune fille
elle se promenait dans un bureau avec un tas d’
enveloppes qu’elle tenait dans ses bras
ce sera le début d’une nouvelle vie
comme un retour en arrière
un retour au passé
Là où il fait un pli
nous partîmes
sous un ciel couleur rouille
d’où tombaient de brèves pluies
les slums, ces cités monstrueuses
on estime qu’un milliard
de personnes habitent ces lieux
de définition incertaine, et le phénomène
est en pleine expansion.
n’importe quel raisonnement,
de n’importe quel type qui ne parle pas de
cela, n’est plus
valable.
Quand elle se suicida, je n’en eus rien à foutre
d’ailleurs, la dernière fois, elle ne m’avait presque pas salué
Elle était toujours tellement attachée, je n’en pouvais plus
j’avais aussi mes affaires à régler
Nous vivons tous à l’ombre de ce suicide
Oh aimez-moi s’il vous plaît cette poésie est trop triste
Quand elle mourut
J’ai vécu cet œdipe en retard
Faire un voyage dans l’imaginaire
ceux qui brûlent des mannequins
ont raison, mais ça ne convient pas
il faut dire: ce sont des victimes, ce n’est pas leur faute
la campagne vue d’en haut
me coupait le souffle
et notre génération d’estropiés
l’idée de ne pas avoir su la protéger
ne pas avoir pu la sauver
j’aime les cours intérieures un peu misérables, la partie arrière du monde
comme j’aimais les dernières terrasses,
celles qui sont tout en haut,
le monde renversé
j’aime leur petit peuple, tranquille /, / [et] un peu terne
je pourrais rester des heures à regarder les cours intérieures, avec
cet effet hypnotique, c’est à dire comme on regarde le feu ou la mer
qui change continuellement et c’est toujours le même
j’aime ce monde crépusculaire
ne pas avoir pu (su) la sauver
ils vont en groupes
comme les corbeaux
les visages effacés
cette ville morte qui vit par erreur
je t’aime comme une vieille cousine
un peu folle,
je t’aime comme une pauvre, vieille cousine
un peu folle
mais qu’est-ce que j’ai à voir avec toi
il semble que l’univers, à force de s’étendre, doive finir par se désagréger
mais qu’est-ce que j’ai à voir
ne pas avoir su la sauver
nous avions l’air très sauvage
nous nous assîmes sur les marches de l’église de la consolation
une église isolée
(je pensai à *** elle sous la tente, puis je fis une promenade au bord de la mer
les visages effacés par les souvenirs
un noir souvenir,
quand elle pleurait je ressentais ces pleurs
comme une violence envers moi
moi, par exemple, j’aime les momies
elles sont expressives, certainement plus que nous
elles n’ont pas cet air indifférent, faux
au campidoglio
une rivière
qui cheminait en montant
cette fille se prenait dans ses bras
parce que personne ne l’embrassait
il semblera étrange que j’aime les momies
mais je vous assure que les momies sont vraiment expressives
avec cet air dramatique
tu libères ta férocité de machine
furtifs comme souris
tristes,
tragiques [et] étranges
comme des espionnes
elle sanglotait
que pouvais-je y faire
si je ne l’aimais plus
Quand il y a des répétitions de théâtre, ou de musique,
elles ont un charme comme familier, ou
épiphanie, et elles répercutent les sons à l’intérieur du
cerveau, avec toute leur perplexité,
Je ne peux pas te voir mais je peux te rêver
conseils pratiques
pour l’usage
de votre
électroménager
nous l’avons fait
longtemps
longtemps
puis
je n’ai pas réussi à dormir.
tu as fait un cauchemar
tu rêvais d’avoir un enfant,
d’horribles monstres
t’en empêchaient.
il y a quelque chose de schizophrénique dans le fait de commencer
du début toujours toujours.
moi pendant que je ne dormais pas
je ne pensais à personne.
moi pendant que je ne dormais pas
je ne pensais à personne.
moi pendant que je ne dormais pas
je ne pensais à personne.
je ne pensais à personne.
à personne. Je ne pensais à personne.
On ne peut pas être humains
il faut être insensibles comme des animaux
comme dans une décharge, où l’on jette les choses qui n’ont pas
de vie, mais qui toutes ensemble, dans la décharge, acquièrent une
vie. Fait de déchets, choses qui ne peuvent plus servir. Peut-être pour cela le début est-il aussi
négligé, banal et
choses lyophilisées, au contact avec l’eau. cette chose collante dans
laquelle je me remue comme mouche
la nouvelle vie est un retour au passé
ville somnambule

Préalablement publié dans FAVIER Olivier, « La poésie narrative italienne, suivi d’un choix de poèmes de Carlo Bordini, Mauro Fabi et Andrea di Consoli », Décharge n° 139, septembre 2008.

Bio-bibliographie de Carlo Bordini à la suite du poème Les Gestes.

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