Est-ce ainsi que les hommes changent?, par Olivier Favier.

 

On peut sourire des symboles, et leur préférer, à juste titre, l’aspect concret d’une politique. Pour autant, on s’en souvient, la journée d’investiture du premier septennat de François Mitterrand -avec tout le mal qu’on pourra dire du personnage et de sa détestable ambition- avait été marquée par une visite au Panthéon, rhétorique et régalienne en diable, mais en hommage au moins à des noms respectés: Jean Jaurès et Jean Moulin.

Le parcours de Jean Jaurès n’a pas été sans tache, bien sûr, et l’on trouvera ici ou là tel article de jeunesse fortement teinté d’antisémitisme, qu’un soutien sans faille au capitaine Dreyfus, comme la défense précoce du peuple arménien, sauront faire pardonner. Plus qu’une image sainte, Jean Jaurès demeure l’exemple d’un homme, comme d’autres figures socialistes de sa génération, dont la conscience et le courage ont grandi avec les années, tout comme la force de conviction. Le Jaurès qu’il nous reste est celui des mineurs de Carmaux, et plus encore l’infatigable pourfendeur de la loi des 3 ans, assassiné le 31 juillet 1914. Sa mort fut la dernière étape vers quatre ans et demi de folie meurtrière, suivis de décennies de haine et de ressentiment. Je n’ai pas le goût du tragique, mais la fin de Jean Jaurès, comme celles de Karl Liebknecht et de Rosa Luxembourg, n’auront jamais laissé de m’émouvoir.

De Jean Moulin, radical-socialiste, on ne saurait trouver dans son parcours un instant où il manqua de courage, de son soutien aux Républicains espagnols à sa mort sous la torture en 1943.

Tout cela n’en rend que plus terne -pour ne pas dire inacceptable- l’hommage inaugural du 15 mai 2012 du Président de la République François Hollande, qui sera certes moins rhétorique et régalien, aux figures de Jules Ferry et de Marie Curie. Jules Ferry l’« opportuniste » -c’était ainsi qu’on appelait son courant de républicains « modérés », à l’origine de la droite libérale française, et donc historiquement infiniment plus proche de l’austère Antoine Pinay que de Pierre Mendès-France-, Jules Ferry le Versaillais -comme Émile Zola pourra-t-on dire, mais pas pour les mêmes raisons-, Jules Ferry, surtout, le plus puissant défenseur en France de la course à l’Afrique et à l’Asie du Sud-Est -et je m’étonne que personne ne remette en avant son célèbre échange avec Georges Clemenceau, en 1885, à la Chambre des Députés. Mais laissons-la les anaphores. Quoiqu’il en soit, si Jules Ferry est un symbole, c’est sans aucun doute de cette politique « juste milieu » dans sa version Troisième République, qui n’apprit à lire et à écrire à ses enfants que pour mieux les faire tuer, trente ans plus tard, ivres de Paul Déroulède et de Colline inspirée, dans les tranchées de la Somme et de Verdun.

Quant à Marie Curie, au-delà de l’exceptionnelle scientifique d’origine polonaise -évidemment citée, au passage, sous le nom bien français de son mari-, on peut y voir, là encore, une façon bien opportune de répondre au débat sur le nucléaire civil. À moins de rappeler que l’œuvre de Maria Skłodowska était elle aussi porteuse d’une mort tragique. Une mort qui sera celle, qui peut encore en douter, des enfants de Fukushima.

13 /05 /2012

PS du 15 mai:

La polémique n’aura pas été vaine, puisqu’elle a amené le Président de la république à ouvrir ainsi son discours d’hommage du 15 mai: «Tout exemple connaît des limites, toute grandeur à ses faiblesses et tout homme est faillible. En saluant aujourd’hui la mémoire de Jules Ferry qui fut un grand ministre de l’instruction publique, je n’ignore rien de ses égarements politiques. Sa défense de la colonisation fut une faute morale et politique. Elle doit à ce titre être condamnée.»

Jules Ferry, alors surnommé "Ferry-Tonkin", vu par le journal satirique Don Quichotte, en 1885.

Pour aller plus loin:

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