Grand comme un besoin de changer d’air, par Léon-Gontran Damas.

 
Grand comme un besoin de changer d’air
pour le plaisir d’en finir avec un dilemme
au surcroît double

être ou pas
être ou paraître
tout à la fois hier
et aujourd’hui
ce jour d’hui déjà demain

Beau comme
comme une rose
dont la Tour Eiffel assiégée à l’aube
voit s’épanouir enfin les pétales
dans le flonflon d’un 14 juillet de Roi
à guillotiner ou encore à pendre
au carrefour de la République
toujours à naître

Fort comme l’accent aigu d’un appel
dans la nuit longue
et longue
lâché le mot
un signe
 
Névralgies, Présence Africaine, 1964.
 

Léon Gontran-Damas (1912 -1978). Député de Guyane de 1948 à 1951, auteur du « rapport Damas » sur la répression coloniale en Côte d’Ivoire. Il finit ses jours comme professeur d’université aux États-Unis. Ces deux poèmes ont été cités à l’Assemblée nationale les 29 janvier et 5 février 2013 par Christiane Taubira, Garde des Sceaux, lors des débats sur le projet de loi concernant l’ouverture du mariage aux couples de personnes de même sexe.

 

Nous les gueux…

 
nous les peu
nous les rien
nous les chiens
nous les maigres
nous les Nègres

Nous à qui n’appartient
guère plus même
cette odeur blême
des tristes jours anciens

Nous les gueux
nous les peu
nous les riens
nous les chiens
nous les maigres
nous les Nègres

Qu’attendons-nous
les gueux
les peu
les rien
les chiens
les maigres
les nègres
pour jouer aux fous
pisser un coup
tout à l’envi
contre la vie
stupide et bête
qui nous est faite
à nous les gueux
à nous les peu
à nous les rien
à nous les chiens
à nous les maigres
à nous les nègres
 
Black-label, Paris, Gallimard, 1956.
 

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