Des ruines (2), par Jean-Luc Raharimanana.

De là où (j’écris) je parle, l’inacceptable doit se prouver – même si la planète entière le sait, même si personne n’ignore, que là, les jours, plus noirs encore que les précédents, s’écoulent dans l’indifférence des événements sans importance, la mort des miséreux et des bas de ce monde. L’inacceptable dans mes territoires est vite effacé par d’autres inacceptables, et tout s’annule, c’est le lieu où le monde rejette sa honte, la poubelle de l’âme humaine, l’endroit où l’on peut accepter qu’il y ait l’inacceptable, car il faut bien qu’un tel lieu existe, pour que puisse s’envisager l’idée d’une possible pureté en nous…

Contre la décomposition…

Pureté ?
À ce mot, gêne et tremblements, hochement de tête et salive déglutie…

Besoin de barbares pour nous dire au-dessus de tout, dans la civilisation… Besoin de barbares pour expliquer l’inacceptable.

Les raisons profondes de la déchéance du sud ?

De là où je parle, le scandale doit se justifier, le cri doit s’expliquer, et je ruse, je n’aborde pas de front les oreilles qui m’écoutent, je dois ménager les susceptibilités, ne pas traumatiser avec des histoires à l’africaine qui dérangent les consciences, mes mots dansent n’est-ce pas ? Quelle incroyable inventivité ! La fusion de l’oralité et de l’écriture ! La rencontre des traditions et de la modernité ! Je peux même rajouter que je suis d’une île, les vagues, les océans, la houle et la fureur, les cyclones, la rencontre des cultures et des races –ô pardon, les races n’existent pas, la rencontre des populations, les brassages, le métissage, la créolisation, littérature-monde qui réinventera le monde, un monde fou de tolérance et de partage, toutes les langues en face de soi, « et ta gueule tu la fermeras ! ». Mais méfions-nous de l’aigreur ! Garder langue digne et ne jamais oublier de relativiser. Le doute. Tous les points de vue. Oublier ce que les yeux ont vu : l’évidence…

Extrait de Des Ruines, texte de Jean-Luc Raharimanana.

Le Dossier du spectacle de Thierry Bédard.

La version scénique du texte est publiée dans le numéro 17 de l’excellente revue Frictions.

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