Cìncali (le député Brusasca), par Mario Perrotta et Nicola Bonazzi.

 

(L’extrait que nous présentons, traduit et interprété par Hervé Guerrisi, est dit en son nom propre dans la version française)

Document sonore : LA VOIX DU DEPUTE BRUSASCA

Voici le sous secrétaire aux affaires étrangères, Monsieur Brusasca qui nous parle de l’émigration: “Nous avons 2 Millions de sans emplois à sauver. Notre population en âge de produire du travail est environ de 350 000 unités par ans alors que notre sol, avec ses ressources insuffisantes ne peut se permettre de donner du travail à tous. Ces données expliquent la douloureuse mais absolue nécessité de l’émigration Jusqu’à aujourd’hui, sous le contrôle de l’état, les groupes de travailleurs suivants ont été envoyés :
6000 en Suisse
27 000 en Belgique…”

 

Hervé Guerrisi au théâtre de la Vénerie, Bruxelles, avril 2011. Photo: Olivier Favier.

 

HERVÉ: C’est le sous-secrétaire aux affaires étrangères, le député Brusasca qui parle. Le 23 juin 1946, soit seulement 20 jours après le référendum Monarchie-République en Italie, l’Italie avait conclu un accord avec la Belgique pour l’envoi de main d’œuvre italienne dans les mines. Les termes de l’accord étaient les suivants: Envoi de 50.000 ouvriers nationaux de moins de 35 ans et en parfaite santé, en convoi hebdomadaire de 2.000 unités.
Pour chaque mineur italien, l’Italie recevra 200Kg de charbon par jour.
À chaque coin de l’Italie naissent les bureaux d’émigration, les bureaux de placement poussent comme des champignons. La bureaucratie italienne, pour la première et dernière fois, fait preuve d’une efficacité…incroyable. En un an, on conclut des accords avec la Suisse, la France, l’Autriche, l’Angleterre, la Suède, l’Argentine et le Chili. Mais pour la Belgique on fait quelque chose de plus. Parce qu’on a besoin de charbon immédiatement, on en a besoin pour reconstruire. Des millions d’affiches roses envahissent le pays propageant la “grande occasion” à des “conditions particulièrement avantageuses pour un travail sous-terrain dans les mines belges” mentionnant le salaire journalier, le prix de production, les taux de change, le chèque familial, le charbon gratuit, les billets ferroviaires gratuits, la prime de natalité, le logement digne et à prix modéré. Et encore: tous les avantages que la Belgique accorde à ses propres mineurs; Le voyage en train de l’Italie à la Belgique ne dure que 18 heures; Une fois les simples formalités d’usage accomplies, votre famille pourra vous rejoindre en Belgique. L’Amérique transférée en Europe.
La première visite médicale tu la faisais dans ta ville, mais là, il y avait un risque d’escroquerie et de magouilles, on sait comment ils sont ces italiens.
La seconde au chef lieu de ta province. Là, il y avait des inspecteurs d’état plus rigoureux. L’inspection était plus approfondie pour vérifier ta santé optimale mais aussi ta conduite politique de préférence centrée. (catholique)
Après environ 7 jours, les candidats mineurs partaient en groupe de chaque chef lieu d’Italie en direction de Milan, caserne Sant’Ambrogio. Ici, la permanence durait 3 jours et si, par hasard il y avait eu quelque doute durant les visites précédentes, ici, il fallait affronter l’infaillible commission Italo-belge. Des médecins, des bureaucrates, des ingénieurs des mines, te soumettaient à une série d’examens très sévère: Visite médicale générale, radiographie, inspection dentaire, épidermique, génitale, inspection anale, relevé des empreintes digitales des dix doigts. Des centaines furent renvoyés à la maison pour les motifs les plus variés. Les autres attendaient pendant des jours dans les souterrains de la gare de Milan jusqu’à former un contingent de 2000 hommes pour le train hebdomadaire qui t’emmenait en Belgique. Une fois montés, le train était blindé et escorté par la police jusqu’à la station d’arrivée. Par mesure de sécurité. Parmi les émigrants se cachaient les informateurs de la sûreté de l’état belge pour repérer les éventuels rebelles violents. Dans les trains, les sièges étaient en bois et il n’y avait pas de chauffage. De plus, le voyage durait 52 heures… on avait écrit 18 heures sur les affiches… 52 heures par mesure de sécurité.
Arrivé à destination, le train s’arrêtait au déchargement marchandise où quelques représentants des mines triaient à grande voix ou avec un mégaphone les candidats mineurs en caravane distincte pour chaque mine. Une autre visite minutieuse, ça ne fait jamais de mal, puis on chargeait la marchandise dans les camions habituellement destinés au transport du charbon et on se dirigeait vers les logements. Les logements dignes et à prix modérés. A savoir les baraquements des camps de concentration nazis à peine vidés de leurs prisonniers russes.
Ca c’était les conditions et il y en avait d’autres mais qu’on n’avait pas écrites sur l’affiche, probablement par manque de place.
Du genre : Si tu refuses de descendre dans la mine, tu te fais arrêter et accuser de résiliation du contrat.
Avant de pouvoir changer de travail en Belgique, tu es contraint à 5 ans de mine, sinon, à la maison.
Pour avoir droit à la pension, tu dois avoir derrière toi minimum 10 ans de mine et 66% de silicose dans les poumons.
On ne l’avait pas écrit non… on ne leur avait même pas dit… Non, on aura pensé: « Ceux là ils comprennent et ils parlent à peine leur propre langue, l’italien… imaginons-les comprendre le français…ou le flamand…

Traduit par Hervé Guerrisi. Spectacle créé en français le 28 avril 2011 aux Écuries de la Maison Haute de la Vénerie à Bruxelles (Belgique).

 

Image extraite de Misère au borinage de Henri Storck et Joris Ivens (Belgique, 1933, 26mn, muet). Ce film tourné dans les mines du Levant à Mons pendant la grève de 1932 devait devenir un des classiques du cinéma documentaire. Il est cité par Walter Benjamin.

 

 

Pour aller plus loin:

1-Quelques liens:

2-Bibliographie:

  • Éric Brogniet, « Tutti cadaveri »,  texte publié dans Suivez mon regard, Namur, Institut du Patrimoine Wallon, 2011.
  • Julie Urbain – Marie-Louise De Roeck – Paul Lootens, Tutti Cadaveri, Le procès de la catastrophe du Bois du Cazier à Marcinelle, Aden, Bruxelles, 2006.
  • Edmondo de Amicis, Sur l’océan, Paris, Payot, 2004. Un très grand roman-reportage sur la traversée des émigrants entre Gênes et le Rio de la Plata en 1884, à l’aube de la « grande émigration ».
  • Melania Mazzucco, Vita, Paris, Flammarion, 2004.
  • Pierre Milza, Voyage en Ritalie, Paris, Plon, 1993. Sur les émigrés italiens en France.

En italien:

  • Mario Perrotta, Emigranti esprèss, Fandango libri, Rome, 2009. Recueil de témoignages qui vient prolonger le spectacle.
  • P. Bevilacqua, A. De Clementi et E. Franzina, Storia dell’emigrazione italiana. 2 vol.: Partenze-Arrivi, Donzelli, Rome, 2001-2002.

3-Filmographie:

De très nombreux films noirs américains et français abordent l’histoire de l’émigration italienne par celui du banditisme organisé. Ils sont bien peu à évoquer une réalité beaucoup plus communément partagée, non dépourvu pour autant d’un caractère

  • Emmanuele Crialese, The golden door (Italie-2004). Une famille d’émigrants calabrais traverse l’Atlantique pour New York.
  • Franco Brusati, Pane e cioccolata, (Italie,-1973). Voir un extrait à la fin de cet article.
  • Mario Perrotta, Italiani cincalì, parte prima. Minatori in Belgio, DVD L’Unità Teatro incivile, 2006. Il s’agit de la captation du spectacle.

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