Le chat de Schrödinger, par Francis Harvey.

 

Qu’on se souvienne d’eux n’importe pas aux morts
quoi que cela puisse signifier pour les vivants.
À quoi bon rêver que dans cent ans
quelqu’un va lire un de tes poèmes,
que des savants tireront tes livres de rayons
plus couverts de poussière que toi tu ne le seras ?
Jamais gestes et mots ne te soulageront.

Il se peut que des histoires survivent à tes écrits :
les bergers qui t’écoutaient lire des vers aux moutons,
qui te regardaient guetter les voix venues d’un nuage.
Il y en a qui t’ont aimé. Pas pour ce que tu écrivais
mais pour cette façon dont tes yeux devenaient
d’un coup chinois si tu venais à rire ou cherchais
un sourire de commande pour les photos de famille.

Qu’importe où tu sois, pour peu que tu y sois,
tout ça, c’est choses dont tu n’entendras rien.
Même l’amour qui fend les cœurs de pierre
ne percera pas la glaise qui t’obstrue les oreilles.
Alors je travaille pour l’oubli, à écrire
ce qu’on ne lit pas, juste pour ressentir
ce que c’est qu’être mort tout en étant vivant.

Extrait de Collected Poems, Dedalus, 2007. Traduit par Emmanuel Malherbet.

Du même auteur et du même traducteur, paru en 2010, aux éditions de l’Arbre, Resserre à patates / The Potato house.

Voir aussi la note d’Emmanuel Malherbet sur la poésie irlandaise.

Schrödinger’s Cat

Remembering them means nothing to the dead
Whatever it may mean to those alive.
What point is there in dreaming of a poem
of yours being read a hundred years from now,
of scholars taking down your books from shelves
deeper in dust than what will then be you?
What’s done or said will never comfort you.

Maybe the stories will outlive your words:
how sheepmen heard you reading poems to ewes,
watched you listening for voices from a cloud.
Some may have loved you. Not for what you wrote
but for the way your eyes would suddenly
become Chinese each time you laughed or tried
to force a smile in family photographs.

No matter where you are, if anywhere,
these are the things you will never hear.
Not even love that pierces hearts of stone
will penetrate the clay that clogs your ears.
And so I practice for oblivion
by writing what’s unread to get the feel
of what it’s like being dead when I’m alive.

Partager sur