Lettre à Henri Parisot, par Leonora Carrington.

 
Née en 1917 dans le Lancashire, Leonora Carrington rencontre Max Ernst à Londres en 1937. De vingt-six ans son aîné, il l’introduit dans le milieu surréaliste parisien. En 1938, ils s’installent à Saint-Martin-d’Ardèche, où ils reçoivent de nombreuses visites, dont celle de Lee Miller qui les photographie. En septembre 1939, Max Ernst, comme d’autres ressortissants allemands antinazis, est arrêté et « interné » au camp des Milles, près d’Aix-en-Provence. Il rejoint Marseille en août grâce à Varian Fry, alors qu’en désespoir de cause Leonora Carrington vient de quitter la France pour l’Espagne. Mais le choc est si violent que Madrid la trouve en proie à un accès de schizophrénie. « Internée » à son tour à l’asile de Santander, dirigé par le docteur Morales, elle s’en évade bientôt, parvient à rejoindre Lisbonne et de là s’embarque pour New York où elle demeure jusqu’en 1942. Elle part ensuite au Mexique, qui devient sa terre d’élection jusqu’à sa mort en 2011.

André Breton a choisi un de ses contes pour sa réédition de l’Anthologie de l’humour noir en 1950Il y écrit notamment: « Au retour d’un de ces voyages dont on a peu de chances de revenir et qu’elle a relaté dans En bas avec une précision bouleversante, Leonora Carrington a gardé la nostalgie des rivages qu’elle a abordés et n’a pas désespéré de les atteindre à nouveau, cette fois sans coup férir et comme munie d’un permis de circuler à volonté dans les deux sens. »

Toute son œuvre picturale en témoigne, et aussi ce roman absolu, Le Cornet acoustique, entièrement retranscrit par celui qui demeure le grand spécialiste de Lewis Carroll en France: Henri Parisot. Et c’est à ce même Henri Parisot que s’adresse la lettre suivante, l’autorisant à publier En bas, récit oral fait du 23 au 27 août 1943 à Jeanne Mégnen, épouse du médecin et écrivain Pierre Mabille. Le livre paraît en 1945 aux éditions Fontaine, dans la collection « L’âge d’or », collection qu’Henri Parisot poursuit chez Flammarion jusqu’à sa mort en 1979. Le texte anglais était paru en février 1944 dans le n°4 de la revue VVV.

 

Chihuahua, 194.

Cal. Roma. Mexico D.F.

Cher Henri, merci de votre lettre – Je suis d’accord qu’on publie En Bas MAIS croyez moi qu’il n’y a eut aucune « mal entendu » entre nous – Vous n’avez peut-être pas compris mon irritation que je ressent encore, Je ne suis plus la jeune fille Ravissante qui a passér par Paris, amoureuse –

Je suis une vieille dame qui a vecue beaucoup et j’ai changée – si ma vie vaut quelque chose je suis le resultat du temps – Donc je ne reproduirais plus l’image d’avant – Je ne serait jamais petrifiée dans une « jeunesse » qui n’existe plus – J’accepte L’Honorable Décrépide actuelle – ce que j’ai à dire maintenant est dévoilé autant que possible – Voir à travers Le monstre – Vous comprenez ça? Non? Tant pis. En tout cas faites ce que vous voulez avec cette fantôme –

avec le condition
que vous publiez
cette lettre comme préface –

Comme une vieille Taupe qui nages sous les cimetières je me rends compte que j’ai toujours étais aveugle – je cherche à connaître Le Mort pour avoire moins peur, je cherche de vider les images qui m’ont rendus aveugle –

Je vous envoie encore beaucoup d’affection et je vous embrasse à travers mon Ratelier (que je garde a côté de moi la nuit dans une petite boite bleu ciel en plastique)

JE N’A PLUS UNE SEUL DENT

Leonora

 P.S. Si les jeunes me disent maintenant qui j’ai l’esprit jeune je m’offence –

J’ai l’ESPRIT VIEILLE

Tachez de comprendre ça –

 

Photo: Henry Romero / Reuters.

 

Pour aller plus loin:

  • Leonora Carrington, En bas, Éditions Fontaine, Paris, 1945, (rééd. Éric Losfeld, Le Désordre, collection dirigée par Jean Schuster, Paris, 1973).
  • Leonora Carrington, La Porte de pierre, Flammarion, coll. L’Âge d’or, Paris, 1976 .
  • Leonora Carrington, La Débutante, contes et pièces, Flammarion, coll. L’Âge d’or, Paris 1978.
  • Leonora Carrington, Le Cornet acoustique, Flammarion, coll. L’Âge d’or (rééd. Garnier-Flammarion, no 397, 1983).
  • Leonora Carrington, Pigeon vole, contes retrouvés, Cognac, Le temps qu’il fait, 1986.
  • Julotte Roche, Max et Leonora, Cognac, Le Temps qu’il fait, 1997. (Réédition en 2009). L’auteure anime en outre l’association Max Ernst à Saint-Martin-d’Ardèche.
  • Elena Poniatowska, Leonora, Arles, Actes Sud, 2012 (Traduit de l’espagnol par Claude Fell).
  • Leonora Carrington, La mariée du vent, Paris, Gallimard, 2008. Essais d’Homero Aridjis, Annie Le Brun et Delmari Romero Keith. Catalogue de l’exposition présentée à la Maison de l’Amérique latine à Paris du 30 mai au 18 juillet 2008. Y ont été rassemblés 55 peintures, dessins, sculptures, réalisés en partie en Europe et principalement à partir des années 1940 au Mexique, ainsi que des photographies retraçant sa vie et des éditions des livres écrits par l’artiste. Les œuvres proviennent de collections privées mexicaines et parisiennes. C’est la première exposition personnelle de Leonora Carrington à Paris depuis 1969 (galerie Pierre).
  • Un parcours dans son œuvre picturale sur le site consacré à Benjamin Péret.
  • Dominique et Julien Ferrandou, Ouvre-toi, porte de pierre (Documentaire, 2011, 107 mn). Sur le site consacré à André Breton, on peut voir la couverture de l’édition originale française d’En bas, ainsi que différents documents liés à Leonora Carrington. Plusieurs documentaires sont accessibles en ligne en espagnol ou en anglais.
  • Le site du Mémorial du Camp des Milles, seul camp d’internement français à avoir conservé ses bâtiments d’origine. Le musée est ouvert depuis septembre 2012. De nombreux artistes y furent enfermés. En plus de Max Ernst, on peut citer, parmi les plus connus, Hans Bellmer, Golo Mann, Lion Feuchtwanger et Franz Hessel.

Légende de la carte d’En bas:

A. – Lieu désert ; cimetière de Covadonga.
B – Haute muraille entourant le jardin.
X. – Grille du jardin.
1. – Villa Covandonga.
2. – Radiographie.
3. – Villa Pilar.
4. – Pommiers et vue sur Casa Blanca et sur la vallée.
5. – « Afrique ».
6. – Villa Amachu.
6b. – Arbre.
7. – « En Bas ».
8. – Jardin potager.
9. – Tonnelle et caverne.
10. – « Quartier » de Don Mariano.
11. – Rue « du Monde extérieur ».
a. – Ma chambre « En Bas », l’éclipse et les limbes.
b. – Le repaire.
c. – La bibliothèque.

Grande allée d’ « En Bas ».

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