« Bateau is good » : retour à Conflans, par Olivier Favier.

 
Lorsque, à l’automne 2014, je suis venu pour la première fois dans cette ville moyenne au Nord-Ouest de Paris, au confluent de la Seine et de l’Oise, le bateau « Je sers » des Frères assomptionnistes, qui accueille depuis 1937 les sans-abris de toute origine, ne disposait plus d’une structure suffisante pour répondre aux besoins auxquels il était confronté. Depuis plusieurs années déjà, il était devenu la destination presque exclusive en France des demandeurs d’asile tibétains. Arrivés par avion à Roissy ou plus rarement par train d’autres pays européens, ces derniers passaient souvent une ou deux nuits dehors, aux abords du jardin d’Éole dans le 19ème arrondissement de Paris, avant de prendre le RER A  jusqu’à la gare de Conflans Fin d’Oise. Nombre d’entre eux dormaient alors dans les alvéoles latérales du pont destiné aux piétons et aux vélos, d’autres dans les soubassements du pont autoroutier en surplomb du premier. Faute de place, quelques tentes s’approchaient parfois des berges du fleuve, entraînant le courroux des autorités. L’année suivante, les Tibétains ont été chassés du pont. Une sorte de jungle s’est alors développée dans un bois sur l’autre rive.

Sous le Pontil, une vingtaine de personnes demeurent sans abri. 9 décembre 2016. Photo: Olivier Favier.

Sous le Pointil, une vingtaine de personnes demeurent sans abri. 9 décembre 2016. Photo: Olivier Favier.

À l’automne 2014, en plus du dispositif classique, une première maison a été mise à disposition de quelques demandeurs d’asile. Deux autres ont suivi, très excentrées, ainsi qu’un bâtiment autrefois dévolu aux mariniers, dans le quartier du Pointil. Mais il manque encore des places. Des tentes ont été installées pour Noël, afin d’éviter aux nouveaux venus de dormir dehors, dans un renfoncement, protégés du vent par de simples bâches. « Je ne suis pas très favorable à la réouverture des tentes, déplore Hugues Fresneau, directeur de l’association La Pierre blanche, qui gère le bateau « Je sers » et les nouvelles résidences, mais c’est la seule qu’on me propose. » En deux ans, 300 personnes ont été accueillies. Quelques postes ont été créés pour assurer le suivi administratif et médical, ainsi que les tâches d’intendance, mais ils ne suffisent pas à assurer la gestion des quatre nouveaux lieux. Dans l’une des maisons, les cafards ont envahi la cuisine commune, le matériel ménager est détérioré. Dans ces résidences à l’écart de la ville et du centre, il n’y a pas de vraie vie commune.

Sur le mur d'une chambre, le résumé d'un voyage: des drapeaux de prière tibétains, un billet de banque indien, un paysage de France.

Sur le mur d’une chambre, le résumé d’un voyage: des drapeaux de prière tibétains, un billet de banque indien, un paysage de France. 9 décembre 2016. Photo: Olivier Favier.

45% des demandeurs d’asile sont illettrés. La plupart ont une vingtaine d’années. Pour beaucoup, l’apprentissage du français est lent, troublé souvent par les multiples traumatismes qui ont provoqué leur exil.  Nombre d’entre eux sont d’anciens agriculteurs, peu préparés à leur nouvelle vie dans une grande ville d’Europe. « Ils ont besoin d’une prise en charge spécifique, confie Hugues Fresneau, on porte beaucoup de choses, y compris matériellement. On est dans un système qui fait appel à la générosité des gens, parce que l’état ne veut pas les prendre en charge complètement. » La venue d’une infirmière et le passage deux après-midi par mois d’un médecin sont encore insuffisants pour le suivi sanitaire. Une fois par an, des tests de dépistage sont organisés. Ils ont mis à jour une vingtaine de cas de tuberculose et une trentaine d’hépatite B. Un cas de leucémie a été détecté. Parmi les plus âgés, certains souffrent d’hypertension. Malgré tout, ajoute Hugues Fresneau, « je commence à en voir qui s’installent vraiment ».

Au Tibet, G. a connu la prison et la torture à l'électricité. Plusieurs orteils de son pied droit en sont restés amputés ou tronqués. Il est arrivé en France en 2015, à l'âge de 46 ans. Peu après, il a appris le décès de son épouse. Son français reste très hésitant. Psychologiquement éprouvé, il a longtemps répété durant les cours: "Ma tête, elle est bloquée." 9 décembre 2016. Photo: Olivier Favier.

Au Tibet, G. a connu la prison et la torture à l’électricité. Plusieurs orteils de son pied droit en sont restés amputés ou tronqués. Il est arrivé en France en 2015, à l’âge de 46 ans. Peu après, il a appris le décès de son épouse. Son français reste très hésitant. Psychologiquement éprouvé, il a longtemps répété durant les cours: « Ma tête, elle est bloquée. » 9 décembre 2016. Photo: Olivier Favier.

La situation de « La Pierre blanche » est matériellement difficile. Elle vit à parts égales de subventions publiques, de dons et de récupération -notamment de nombreux invendus pour la cantine. Le déficit atteint les 50 000 euros, il pourrait doubler dans un an. Henriette Barou, une bénévole très présente sur le lieu, souhaiterait « plus de solidarité de la part des associations bouddhistes. » Mais ses principales critiques, elle les réserve aux autorités: « Parfois j’ai envie de dire au préfet et au maire, quand ils me disent que ce n’est pas de leur compétence, qu’il y a des gens qui ne se posent pas tant de questions et que c’est bénéfique pour tout le monde. » Les demandeurs d’asile témoignent tous d’une grande sympathie à son égard, comme aux autres bénévoles. « Bateau is good » dit l’un d’eux, quand on lui parle du lieu où une bonne part de la communauté se retrouve chaque jour, pour déjeuner et pour dîner.

Sur le cahier de G., ces mots: -Au Tibet tu faisais quoi? -Au Tibet, j'étais nomade, agriculteur. 9 décembre 2016. Photo: Olivier Favier.

Sur le cahier de G., ces mots: « Au Tibet tu faisais quoi? -Au Tibet, j’étais nomade, agriculteur. 9 décembre 2016. Photo: Olivier Favier.

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