La stratégie du choc (extraits), par Naomi Klein.

« C’est au milieu des années 1970, à l’époque où il conseillait le général Augusto Pinochet, dictateur chilien, que Friedman eut pour la première fois l’occasion d’exploiter un choc ou une crise de grande envergure. Au lendemain du violent coup d’État orchestré par Pinochet, les Chiliens étaient sans contredit en état de choc. De plus, le pays était aux prises avec les traumatismes causés par une hyperinflation galopante. Friedman conseilla à Pinochet de procéder aussitôt à une transformation en profondeur de l’économie – réductions d’impôts, libéralisation des échanges commerciaux, privatisation des services, diminution des dépenses sociales et déréglementation. Bientôt, les Chiliens virent même leurs écoles publiques remplacées par des écoles privées auxquelles donnaient accès des bons d’études. C’était la métamorphose capitaliste la plus extrême jamais tentée. »

Naomi Klein

Les cimetières du maoïsme, par Francis Deron (suivi d’un dossier).

« Constater que nous vivons des temps qui privilégient le quantitatif sur le qualitatif, le premier tendant à oblitérer le second, est un truisme. Le chiffre monopolise notre perception du réel. Le journaliste, chroniqueur de l’instant s’adressant à des millions d’inconnus, le sait mieux que quiconque, au moins intuitivement, qui s’attache à illustrer l’importance relative de son propos par des précisions chiffrées censées permettre au lecteur, à l’auditoire, de classer le sujet traité sur son échelle de jugement personnelle. Une nauséeuse hiérarchie s’instaure alors. Entre box-office des navets, responsables de trous financiers et auteurs de crimes en série. Hiérarchie d’autant plus perverse qu’elle n’est pas contestable d’emblée : « record battu ». »

Francis Deron

Rousseau père, par Claude Lévi-Strauss.

« On a commencé par couper l’homme de la nature, et par le constituer en règne souverain ; on a cru ainsi effacer son caractère le plus irrécusable, à savoir qu’il est d’abord un être vivant. Et, en restant aveugle à cette propriété commune, on a donné champ libre à tous les abus. Jamais mieux qu’au terme des quatre derniers siècles de son histoire, l’homme occidental ne peut-il comprendre qu’en s’arrogeant le droit de séparer radicalement l’humanité de l’animalité, en accordant à l’une tout ce qu’il retirait à l’autre, il ouvrait un cycle maudit, et que la même frontière, constamment reculée, servirait à écarter des hommes d’autres hommes, et à revendiquer, au profit de minorités toujours plus restreintes, le privilège d’un humanisme, corrompu aussitôt né pour avoir emprunté à l’amour-propre son principe et sa notion. »

Claude Lévy-Strauss